Les nouveaux territoires du piano par Alexandre Tharaud

Pianiste curieux, Alexandre Tharaud nous livre un nouvel album audacieux sous forme de périple passionnant à travers trois concertos contemporains qui lui sont dédiés.

On peut être un artiste médiatiquement reconnu et vouloir sortir de temps en temps des sentiers battus. Pianiste curieux et éclectique dans ses choix, Alexandre Tharaud est de ces artistes qui, entre quelques albums commercialement rentables (Cinéma, les concertos de Ravel, un nouveau disque Bach) se risquent sur des chemins moins balisés.

Après un premier album en 2020, Piano Concertos consacré à trois créations contemporaines qui lui étaient dédiées, Alexandre Tharaud renouvelle l'expérience avec Concertos. Les compositeurs français Thierry Pécou, basque franco-espagnol Ramon Lazkano et argentin Alex Nante ont tous trois écrit un concerto pour le pianiste, dont le toucher souple et clair les a grandement inspirés. Le parcours est d'autant plus passionnant que les trois œuvres présentent une grande diversité d'approches esthétiques.

Le Cara Bali Concerto de Thierry Pécou, composé en 2020, est ainsi une œuvre particulièrement brillante. Thierry Pécou n'est jamais allé à Bali, mais comme Debussy, Ravel, John Cage, Philip Glass ou Steve Reich, il a été totalement fasciné par les sonorités lumineuses et les rythmes hypnotiques des gamelans balinais. Cara Bali est donc une œuvre « à la manière de… », où l'exotisme de façade est avant tout source de poésie et d'expérimentation formelle. Le concerto se déploie sur deux longs mouvements. Le premier est une belle étude de rythmes, tintinnabulante et frénétique, où les effets de résonance entre le piano et l'orchestre sont assez fascinants. Le second mouvement est comme une élévation où le piano déploie une grande palette de couleurs, effets de clusters ou sons étouffés à la main, avant la lente procession finale s'achevant en apothéose.

Plus ardu, le Mare Marginis (« Nouvelle lune« ) du compositeur Ramon Lazkano, composé en 2022, se veut « une exploration du clavier » le pianiste étant comme « un satellite en orbite de l'orchestre » selon les mots du compositeur. Il faut se laisser emporter par ce magma en fusion où le clavier est tout à tour effleuré, caressé, mais aussi frappé, creusé. Il faut tout le talent d'Alexandre Tharaud pour rendre sa cohérence et sa continuité à cette œuvre d'une grande densité, notamment dans une impressionnante cadence, plus proche de Boulez que de Ravel.

Le cycle de ces trois concertos s'achève avec Luz de Lejos (Lumière de loin) du jeune compositeur Alex Nante. Composé en 2021 et créée lors de la résidence du compositeur avec l'Orchestre national de Lille, cette œuvre se veut beaucoup plus sereine et lumineuse que la précédente. Le concerto se déploie à travers six mouvements enchaînés, qui se répondent symétriquement. Le jeu clair et souple d'Alexandre Tharaud y est particulièrement mis en valeur, notamment dans une introduction où le toucher très « bluesy » du pianiste n'est pas sans évoquer le jazzman Keith Jarret, ou encore dans une sensuelle Cancion de amor où le piano dialogue avec la harpe.

Tout au long de ce disque, Alexandre Tharaud est superbement accompagné par les trois orchestres créateurs des œuvres (Orchestre National de Lyon, WDR Sinfonieorchester, Orchestre National de Lille), totalement investis dans ce projet passionnant.