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Opéra Royal de Versailles. 12-VI-2025. Junior Ballet de l’Opéra national de Paris : Florilège pour 18 danseurs.
George Balanchine (1904-1983) : Allegro Brillante, pour 10 danseurs. Musique : Piotr Ilyitch Tchaïkovski. Costumes : Barbara Karinska
Maurice Béjart (1927-2007) : Cantate 51, pour 8 danseurs. Musique : Johann Sebastian Bach. Costumes : Joëlle Roustan, Roger Bernard
Annabelle López Ochoa (née en 1973) : Requiem for a Rose, pour 12 danseurs (entrée au répertoire du Junior Ballet ). Musique : Franz Schubert Musique. Environnement sonore : Almar Kok. Costumes : Tatyana van Walsum
José Martinez (né en 1969) : Mi Favorita, pour 18 danseurs. Musique : Gaetano Donizetti. Costumes : Agnès Letestu
Avec : les danseurs du Junior Ballet de l’Opéra national de Paris (Eve Belguet, Grace Boyd, Angélique Brosse, Typhaine Gervais, Yoon Seo Lee, Shani Obadia, Laure Ravera, India Shackel, Nathalie Vikner, Jaime Almarez Baizan, Davide Alphandery, Junsu Lee, Mei Matsunaga, Sergio Napodano, Isaac petit, Emryck sanchez-raffy, Santiago Sales Manzanera, Jackson Smith-Leishman)
Le nouveau Junior ballet de l'Opéra national de Paris a pris, tel un retour aux sources de l'« Académie royale de danse », ses marques à l'Opéra Royal de Versailles. Pour le meilleur et le moins bon.
C'est passionnant, la naissance d'une nouvelle compagnie. Surtout lorsqu'elle émane d'une institution comme l'Opéra de Paris, qui ne crée pas des structures tous les ans. Le souhait d'un Junior ballet par José Martinez, le directeur du Ballet, est osé, car il donne un coup de canif certain à cette tradition de l'Opéra de Paris s'attachant à modeler ses propres danseurs, dès leur plus jeune âge, afin qu'ils acquièrent ce qui sera « l'École française ». Ici, l'actuel directeur du Ballet de l'Opéra poursuit un autre but : attirer à Paris « les meilleurs danseurs du monde ». Et « éviter une certaine consanguinité ». Le mot est donc lâché : le Ballet ne doit pas se nourrir uniquement de l'École de danse de l'Opéra de Paris. Reste que presque la moitié des dix-huit jeunes danseurs venus du monde entier ont fait toute leur scolarité à l'École ou y ont passé une ou deux années.
Pour ce spectacle qui débute une tournée mondiale, il est intéressant d'observer la nature du travail accompli, et de découvrir ces visages qui seront peut-être demain les stars de l'Opéra de Paris, s'ils réussissent le concours d'entrée, après leur deux années de formation dans la Maison.
Avouons-le : la soirée n'a pas très bien commencé. En ouvrant sur Allegro Brillante de Balanchine, le niveau très élevé du programme est posé. Or tout débute assez mal, avec la qualité sonore déplorable de la bande son, surprenante dans un tel lieu. La danse ensuite, donne matière à déception. Balanchine ne pardonne pas les hésitations, la perte de la vitesse, ou le seul souci de bien faire. Il faut y aller, surtout sur ce Concerto pour piano n° 3 de Tchaïkovski, une chorégraphie qui demande d'être virtuose, net, précis, rapide. Il faut de l'attaque, du panache, et le tout avec le plus grand sourire et la joie d'avoir dominé toutes ces embuches. Il y a presque du cabaret dans ce ballet champagne. Les dix danseurs du Junior manquent encore de ce plaisir absolu de rayonner sur la musique et sur la danse. Comme si la danse pesait sur la musique, ce qui est, en fait, tout l'inverse chez Balanchine. Le partenaire du couple principal (la distribution n'est pas précisée dans le programme) a encore, de surcroît, à travailler l'art de faire tourner sa partenaire sans être inquiet de sa propre capacité à le faire.
La suite ne s'améliore pas totalement avec Cantate 51 de Béjart qui est un choix curieux, car ce ballet pour huit danseurs, crée en 1966 pour Paolo Bortoluzzi, a perdu de sa modernité avec le temps. Évidemment, la Cantate de Bach prend le dessus, sublime de pureté et de grandeur. Mais l'idée de laisser au sol cinq minutes durant la jeune Vierge Marie à qui l'ange Gabriel finit par annoncer sa grossesse rompt l'équilibre du ballet dont cette narration est d'ailleurs impossible à deviner sur scène. La variation de l'Ange, sans grande ampleur, et la platitude des deux filles sur pointes qui l'accompagnent n'aident pas à appréhender le style béjartien, infiniment plus humain et énergique, et bien moins académique et laborieux que ce qui nous est donné à voir.
Après l'entracte, les danseurs se mettent enfin à danser. L'entrée au répertoire du Requiem for a rose d'Annabelle Lopez Ochoa a comme réveillé ces jeunes gens, soudain plus à l'aise avec ce style qui n'est pourtant pas non plus des plus modernes. Mais il y a comme un plaisir à lier et délier ces pétales de rose fort bien structurés par la chorégraphe qui triomphe partout dans le monde sauf… en France, où l'on ne la regardait pas. C'est chose faite à l'Opéra et tant mieux. Il était temps de voir en cette chorégraphe (une femme, doit-on le préciser, tant elles sont rares à travailler la technique classique) une créatrice douée, où la danse organique ne cède pas à l'émotion. Elle sait créer de petites formes mais aussi de grands ballets narratifs ou biographiques, comme ses œuvres autour de Frida Kahlo ou Coco Chanel. Une jeune fille à la rose en bouche (comme une certaine publicité pour un dentifrice…) évolue seule en académique chair et la voici rejointe par un bouquet de pétales hommes et femmes confondus dans un costume non genré composé d'une superbe jupe rouge bordeaux qui semble tourner toute seule. Avec leur académique chair, les filles ressemblent aux hommes en jupe et torse nu et l'on ne sait plus qui est qui, dans cet étourdissement floral de si belle facture, aidé de jolies lumières. On y voit curieusement une sorte d'effluve béjartienne, adaptée aux goûts du jour.
On ressent la même ferveur avec l'humour en plus dans le si parfait Mi Favorita de José Martinez crée en 2002 pour un petit groupe de danseurs de l'Opéra, avec une formule agrandie au fil des années. C'est peu dire que l'affaire est réussie. José Martinez est un danseur Étoile qui sait chorégraphier, qui sait pourquoi et pour qui il le fait, et qui sait aussi s'entourer pour créer des costumes à l'image de son humour. C'est en l'occurrence une autre Étoile de l'Opéra, sa partenaire Agnès Letestu, qui signe les costumes. Sur l'humour de Martinez, on le sait peu, mais ce danseur à l'air si sérieux est un chorégraphe qui sait jouer avec le geste, le détourner, le tordre et faire rire, et l'humour, dans le ballet classique, est d'une surprenante rareté. Tant il peut être si évident de se moquer de la technique, tout comme un clown sait se prendre les pieds dans le tapis.
Le ballet débute comme 42ème Rue, avec de simples pieds qui bougent par-dessous le rideau de scène. Des chaussures à talons Louis XIV, des pointes qui arrivent, le ton du mixage est donné. Le rideau peut se lever, sur une suite d'entrées, de solos, duos, trios, ensembles qui s'enchaînent à toute vitesse, et tout en humour, avec des tutus rigolos tous déclinés en rouge. Mais surtout, sur la partition de La Favorite de Donizetti (pourtant si peu dansante au début), José Martinez a cette modestie de rendre également hommage à ses aînés. Et pour qui connait ses classiques, on voit s'enchaîner Albrecht à genoux, les quatre stars romantiques du Pas de quatre de Perrot-Pugni, la Fée Violente de la Belle au bois dormant de Noureev, Roméo et ses amis , le grand pas de deux de Don Quichotte du même Noureev, les Willis, les Bayadères qui descendent à leur manière du Royaume des Ombres, Balanchine, Forsythe, Études de Lander, etc etc. C'est vif, drôle, et aussi enthousiasmant à regarder qu'à danser, sans nul doute.
La soirée est ainsi gagnée, au forceps, certes. Et avec des styles de danseurs (petits, grands, déjà très doués, d'autres moins). Mais cela donne aussi à réfléchir sur la différence qu'il y a entre danser un chorégraphe vivant qui vient faire travailler les danseurs, et devoir comprendre ce que voulut faire un maître du siècle précédent. Serait-ce donc tellement plus difficile ? La question, en tout cas, mérite d'être posée.
Crédits photographiques : © Julien Benhamou / Opéra national de Paris
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Opéra Royal de Versailles. 12-VI-2025. Junior Ballet de l’Opéra national de Paris : Florilège pour 18 danseurs.
George Balanchine (1904-1983) : Allegro Brillante, pour 10 danseurs. Musique : Piotr Ilyitch Tchaïkovski. Costumes : Barbara Karinska
Maurice Béjart (1927-2007) : Cantate 51, pour 8 danseurs. Musique : Johann Sebastian Bach. Costumes : Joëlle Roustan, Roger Bernard
Annabelle López Ochoa (née en 1973) : Requiem for a Rose, pour 12 danseurs (entrée au répertoire du Junior Ballet ). Musique : Franz Schubert Musique. Environnement sonore : Almar Kok. Costumes : Tatyana van Walsum
José Martinez (né en 1969) : Mi Favorita, pour 18 danseurs. Musique : Gaetano Donizetti. Costumes : Agnès Letestu
Avec : les danseurs du Junior Ballet de l’Opéra national de Paris (Eve Belguet, Grace Boyd, Angélique Brosse, Typhaine Gervais, Yoon Seo Lee, Shani Obadia, Laure Ravera, India Shackel, Nathalie Vikner, Jaime Almarez Baizan, Davide Alphandery, Junsu Lee, Mei Matsunaga, Sergio Napodano, Isaac petit, Emryck sanchez-raffy, Santiago Sales Manzanera, Jackson Smith-Leishman)
Précision utile : la bande son du Balanchine est celle de la création, avec ses faiblesses considérables. Donc ce n’est pas le réglage de L’Opéra royal qui était défaillant : mais bien la bande utilisée depuis un demi siècle pour cette chorégraphie…
Merci pour vos précisions, Laurent Brunner. Il en incombe donc au Balanchine Trust, que de fournir une bande son version XXI ème siècle aux compagnies qui remontent un de ses ballets ?