Les deux sonates de Julius Reubke par Alma Bettencourt : un doublé gagnant

Julius Reubke, élève préféré de Franz Liszt, laisse deux sonates à la postérité. Elle demeurent profondément inspirées du style de son maitre ainsi que de Richard Wagner.  En un tour de force, Alma Bettencourt nous propose ces deux œuvres, tour à tour au piano et à l'orgue.

La Sonate pour orgue en ut mineur de Julius Reubke est largement présente en discographie puisque la base Cartayrade en dénombre pas moins de 182 ! Beaucoup moins enregistrée, la Sonate pour piano en si bémol mineur excite d'autant plus la curiosité.

Julius Reubke était né en 1834 et bénéficia d'un milieu familial favorable au développement de ses aptitudes musicales. Après de brillantes études il devint en 1856 l'élève de Franz Liszt. L'année suivante il compose la Sonate pour piano ainsi que celle pour orgue, dont il donne la création à l'orgue Friedrich Ladegast (1866) de la cathédrale de Merseburg. Cet orgue avait attiré l'attention de Liszt qui le considérait comme un sommet de la facture romantique allemande. Il avait composé en particulier ses grandes pièces pour orgue pour cet instrument. Reubke et Liszt semblent intimement liés musicalement, Liszt composant lui aussi une unique Sonate pour piano en si mineur et une grande Fantaisie et Fugue sur « Ad nos, ad salutarem undam » basée sur un thème de l'opéra Le Prophète de Meyerbeer. Ces quatre œuvres forment un ensemble étonnant qui résonnent en écho. Il est clair que Liszt est le grand inspirateur de l'ensemble, ce qui révèle d'autant plus l'immense talent de Reubke, porté par une inspiration de génie.

Alma Bettencourt est une jeune musicienne qui a mené des études parallèles de piano et d'orgue, auprès de grands maitres où elle a obtenu concours et diplômes. Proposer en un seul disque ces deux sonates relève du défi dont elle s'affranchit magnifiquement et sur les deux instruments. La discographie avait proposé il y a quelques années une version des deux sonates par Jean Guillou qui en avait révélé avec superbe les subtilités et la grande virtuosité que réclament ces chefs-d'œuvre.

Alma Bettencourt offre un piano introspectif et empreint d'un grand romantisme. Son jeu est souple, au fond du clavier, ce qui procure une ambiance orchestrale soutenue par une virtuosité sans faille qui fait jaillir la musique sans contrainte. Prenant pour modèle la Sonate en si mineur de Liszt. L'œuvre est d'un seul tenant, distillant divers thèmes de manière cyclique en une grande unité générale, malgré de nombreuses atmosphères souvent très contrastées.

Concernant la Sonate pour orgue en ut mineur, Reubke choisit comme Liszt un thème biblique : le Psaume 94. Ce texte évoque non par hasard le thème de la justice divine et de la punition des injustes, comme Liszt pour « Ad nos »… évoquant le Dieu des vengeances. Un tel sujet appelle une œuvre tourmentée faite de contrastes rythmées par les différentes indications de mouvements : Grave, Allegro, Adagio et Fugue Allegro. Alma Bettencourt prend à bras le corps cette sonate sur un instrument qui parait taillé pour l'occasion. Le grand orgue Aristide Cavaillé-Coll de la basilique Saint-Sernin à Toulouse rayonne de tous ses feux, en grande forme après un relevage récent en 2017, et magnifiquement capté dans son acoustique. L'organiste par son jeu équilibré, puissant et profond offre une version de référence, tout en démontrant la possibilité de jouer une telle musique sur un orgue symphonique français, différent d'un instrument allemand tel celui de Merseburg.

Alma Bettencourt par cet enregistrement montre la superbe de la jeune école française de clavier, encouragée par le label Rocamadour, audacieux et éclairé dans ses choix.

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