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Le Crépuscule des Dieux par Peter Konwitschny, un admirable classique du théâtre lyrique moderne

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Dortmund. 26-V-2025. Richard Wagner (1813-1883) : Götterdämmerung (Le Crépuscule des dieux), troisième journée de L’Anneau du Nibelung. Mise en scène : Peter Konwitschny ; décors et costumes : Bert Neumann. Avec : Daniel Frank (Siegfried), Joachim Goltz (Gunther), Morgan Moody (Alberich), Samuel Youn (Hagen), Stéphanie Müther (Brünnhilde), Barbara Senator (Gutrune), Anna Lapkovskaja (Waltraute), Sooyeon Lee, Tanja Christine Kuhn, Ruth Katharina Peeck (Filles du Rhin), Rita Kapfhammer, Anna Lapkovskaja, Tanja Christine Kuhn (Nornes). Chœur de l’Opéra de Dortmund ; Dortmunder Philharmoniker ; direction : Gabriel Feltz

Pour conclure son cycle donné au théâtre de Dortmund, le metteur en scène reprend un spectacle ancien mais toujours pertinent, admirablement servi par une distribution toujours dominée par la Brünnhilde de .

25 ans déjà : pour terminer son Ring de Dortmund, reprend sa seule production précédente d'un opéra du Ring. Quand l'Opéra de Stuttgart, en 1999/2000, choisit de confier chaque opéra du Ring à un metteur en scène différent, c'était très inhabituel ; d'autres l'ont fait depuis, mais ce Ring de Stuttgart, diffusé par ARTE puis par le DVD (Arthaus), a acquis une réputation plutôt unique, notamment en France où il a longtemps été le repoussoir absolu des traditionalistes. Si L'Or du Rhin (Joachim Schlömer) et La Walkyrie (Christof Nel) ne méritent sans doute pas la postérité, on a pu revoir à Stuttgart le merveilleux Siegfried de Jossi Wieler, intégré dans un nouveau cycle composite, et voilà que revient aussi Le Crépuscule signé Konwitschny.

Ou plutôt : signé Konwitschny et Bert Neumann, décorateur et costumier décédé en 2015, qu'on a souvent vu en France aux côtés de Frank Castorf (sans oublier l'admirable décor qu'il avait conçu à Bastille pour Simone Boccanegra mis en scène par Johan Simons en 2006, un des spectacles les plus stupidement calomniés de l'histoire récente de l'Opéra de Paris). Bien sûr, on peut voir son travail ici et là en vidéo, mais voir vivre cet incroyable décor au théâtre, en conditions réelles, sans l'abus de gros plans qu'imposent les réalisateurs de captations, est un grand bonheur qui dure toute la soirée. Au cœur du dispositif, sur une tournette, une grande boîte formée par des arceaux de bois que vient recouvrir une immense bâche noire, qui se lève sur l'un ou l'autre des côtés en fonction des besoins.

Au prologue, on nous révèle ainsi sur un des petits côtés la chambre où Brünnhilde fait ses adieux à Siegfried : la jeunesse irrésistible de et la naïveté de son jeune amoureux sont décrits par Konwitschny avec un humour plein de tendresse, devant un paysage de montagne façon toile peinte qui ravira les traditionalistes. C'est aussi un des petits côtés, en guise de petit théâtre des faux-semblants, qui accueille la scène où les Filles du Rhin attirent Siegfried. Toute la structure est au contraire révélée pour les scènes plus ouvertes, celle de la grande salle des Gibichungen ou la masse des vassaux de Gunther. L'ensemble donne une impression difficile à définir, mais parfaitement en phase avec ce dernier volet du Ring, où le temps des illusions et des grandes entreprises est passé, où il ne reste plus qu'à attendre que l'inévitable catastrophe se produise : on comprend bien pourquoi ce spectacle vieux d'un quart de siècle reste aussi pertinent et actuel aujourd'hui.

Les forces réunies à Dortmund sont pour ce dernier volet particulièrement convaincantes : outre , on admire le parfait anti-héros qu'est , bien en phase avec le spectacle, et avec assez d'endurance pour venir à bout de son rôle sans fatigue perceptible. Autour du couple central, on se réjouit du retour de l'excellent Alberich de , et on découvre en une Waltraute de grande classe, éloquente et vocalement somptueuse ; les deux trios de la soirée, les Filles du Rhin et les Nornes, sont tout aussi à l'honneur d'une maison qui n'est pas de celles dont on parle souvent en France, mais qui mérite ici tous les honneurs, pas seulement pour son audace scénique. L'orchestre en fosse se bat vaillamment, et la direction de , qui ne tombe jamais dans la grandiloquence ni dans les déchaînements de puissance orchestrale, séduit à nouveau par un sens du théâtre dont les premiers volets ne faisaient pas constamment preuve, et par une attention aux chanteurs constantes : c'est aussi un des plaisirs de ce Ring, celui d'entendre véritablement chanter les interprètes qui peuvent ainsi faire vivre leurs personnages sans avoir à forcer contre l'orchestre.

La fin du Crépuscule, fin du cycle en général et même de celui de Konwitschny, est un moment propice pour les metteurs en scène, le grand moment pour révéler le sens de l'histoire, la clef des quinze heures précédentes. Rien de tout cela avec : faire défiler sur un écran masquant la scène la longue didascalie finale du livret, en noir sur blanc, sans aucune image, sans fioriture. On peut y voir un refus d'obstacle, une paresse antithéâtrale : c'est au contraire une prise de position on ne peut plus claire qui vient clore idéalement un cycle qui refuse de faire de l'entreprise wagnérienne un livre sacré soumis à exégèse. Le Ring est peut-être un miroir du monde, mais Konwitschny le montre avec autant d'humour que de force de conviction : c'est un miroir brisé.

Crédits photographiques : © Thomas Jauk

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1 commentaire sur “Le Crépuscule des Dieux par Peter Konwitschny, un admirable classique du théâtre lyrique moderne”

  • Patrick dit :

    Merci de ces comptes-rendus qui reflètent bien ce que j’ai vécu cette fin mai à Dortmund (je devais bien être le seul Français de la salle !), le travail de mise en scène remettant le spectateur dans les conditions d’une première fois – tellement les images et les situations sont nouvelles (la montée au Walhalla des Dieux , vieillards en fauteuils roulants abandonnés par leurs 3 infirmières (Filles du Rhin) reste un grand moment au même titre que la caverne de Fafner …). Je n’ai découvert que très tard l’importance des festivals WAGNER KOSMOS initiés depuis 2020 et qui, malgré l’annulation des éditions de 2020 et 2021 ont permis à leurs heureux spectateurs de mettre en perspective les prédécesseurs ayant pu influencer Wagner (Spontini – Fernand Cortez ; Halévy – La Juive) avec les compositeurs contemporains de Wagner (travail en collaboration avec le Palazetto Bru-Zane pour Frédégonde en 2022, La Montagne Noire en 2024 et en 2026 le Mazeppa de Clémence de Grandval) – sans oublier des créations contemporaines. Heribert Germeshausen, directeur de l’Opéra, annonçant par ailleurs une collaboration avec le Festival de Bayreuth (détails à venir à partir du 25.07.2025), Dortmund va devenir un passage annuel obligé pour les amateurs de Wagner !!!

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