L’Or du Rhin par Peter Konwitschny à Dortmund, des peaux de bête aux gratte-ciel
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Dortmund. Opernhaus. 25-V-2025. Richard Wagner (1813-1883) : Das Rheingold (L’Or du Rhin), prologue de L’Anneau du Nibelung. Mise en scène : Peter Konwitschny ; décors : Jens Kilian. Avec : Michael Kupfer-Radecky (Wotan), Morgan Moody (Donner), Sungho Kim (Froh), Matthias Wohlbrecht (Loge), Ruth Katharina Peeck (Fricka), Irina Simmes (Freia), Melissa Zgouridi (Erda), Joachim Goltz (Alberich), Fritz Steinbacher (Mime), Denis Velev (Fasolt), Artyom Wasnetsov (Fafner), Sooyeon Lee, Tanja Christine Kuhn, Marlene Gaßner (Filles du Rhin). Dortmunder Philharmoniker, direction : Gabriel Feltz
Beaucoup plus satisfaisant orchestralement que les deux volets précédents, ce prologue tardif bénéficie toujours du très pertinent humour d'un grand maître du théâtre musical.
Et vint donc L'Or du Rhin, en troisième position dans le Ring singulier de Peter Konwitschny après La Walkyrie et Siegfried. L'Or du Rhin, prologue, scène fondatrice, point de départ de tout un univers : fort logiquement, Konwitschny ressort les peaux de bêtes pour les scènes chez les dieux. Il n'y a pas de référence visuelle aux deux volets précédents, et Konwitschny et ses partenaires s'amusent à brouiller les pistes dans la distribution : par rapport à la veille, Mime chante Loge, Alberich chante Donner, et c'est même Fafner qui chante Fasolt. Le refus de la continuité cyclique qui marque l'entreprise est faite avec humour, mais ce n'est pas un simple caprice : les vastes explications du monde en forme de système philosophique ont fait et font trop de mal pour qu'on puisse trouver bon d'en bricoler sur une scène d'opéra.
Avant cela, le rideau rouge reste fermé pour la scène liminaire, en guise de Rhin : Alberich est en avant-scène, pêchant tristement dans la fosse. Les filles du Rhin apparaissent derrière le rideau, comme s'il était la surface de l'eau, qui ne s'ouvre que pour révéler l'éclat de l'or. On verra à la troisième scène ce qu'Alberich (Joachim Goltz, qui fait du personnage un banal ambitieux plutôt qu'une incarnation du mal) fait de cet or : une profusion de gratte-ciel dans un monde d'où la nature est proscrite, avec des ogives nucléaires en guise de trésor accumulé. Et à la fin de l'opéra, quand les dieux à défaut du trésor marquent leur triomphe relatif et temporaire par leur entrée dans le château, fini les peaux de bêtes : les dieux se costument en bourgeois, l'habit faisant le moine – on ne peut qu'approuver Loge qui ne se laisse pas prendre à cette respectabilité en toc.
La plus belle scène du spectacle est certainement l'apparition d'Erda, interprétée comme la veille, avec autant de profondeur et de musicalité, par Melissa Zgouridi : toute une troupe d'enfants envahissent la scène avec elle, apportant fraîcheur et humanité à un monde qui en manque bien – deux petites filles discutent par gestes au premier plan au sujet des harpes, ces harpes qui nous accompagnent depuis le début de ce Ring et qui serviront pour la montée des dieux au Walhalla, en un de ces moments si touchants où Konwitschny fait voir la musique et ne se laisse pas arrêter par la coupure entre scène et salle.
Pour la dernière apparition de Wotan, c'est Michael Kupfer-Radecki qui l'incarne : irréprochable vocalement, il reste un peu pâle dans l'incarnation du personnage ; c'est la mise en scène qui le veut, lui refusant le grand format et le destin exceptionnel pour n'en faire qu'un homme parmi tant d'autres. Il trouvera sans doute l'occasion de s'affirmer plus nettement dans d'autres propositions théâtrales. Le reste de la distribution est tout à l'honneur du théâtre de Dortmund, entre membres de la troupe et invités ; le bon trio de filles du Rhin dominé par la Flosshilde somptueuse de Marlene Gaßner n'en est qu'un exemple de bon augure pour l'ensemble de l'opéra. Tous bénéficient de la direction de Gabriel Feltz, cette fois théâtrale de bout en bout et très bienveillante envers les chanteurs : ce n'est pas parce que Konwitschny offre un spectacle fort que la musique s'en trouve sacrifiée, mais il est tout de même bienvenu que la musique et la scène semblent constamment marcher d'un même pas.
Crédits photographiques : © Thomas Jauk
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Dortmund. Opernhaus. 25-V-2025. Richard Wagner (1813-1883) : Das Rheingold (L’Or du Rhin), prologue de L’Anneau du Nibelung. Mise en scène : Peter Konwitschny ; décors : Jens Kilian. Avec : Michael Kupfer-Radecky (Wotan), Morgan Moody (Donner), Sungho Kim (Froh), Matthias Wohlbrecht (Loge), Ruth Katharina Peeck (Fricka), Irina Simmes (Freia), Melissa Zgouridi (Erda), Joachim Goltz (Alberich), Fritz Steinbacher (Mime), Denis Velev (Fasolt), Artyom Wasnetsov (Fafner), Sooyeon Lee, Tanja Christine Kuhn, Marlene Gaßner (Filles du Rhin). Dortmunder Philharmoniker, direction : Gabriel Feltz