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Siegfried par Peter Konwitschny, héros sans emploi

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Dortmund. Opernhaus. 23-V-2025. Richard Wagner (1813-1883) : Siegfried. Mise en scène : Peter Konwitschny ; décors et costumes : Johannes Leiacker. Avec : Daniel Frank (Siegfried), Matthias Wohlbrecht (Mime), Thomas Johannes Mayer (Der Wanderer), Morgan Moody (Alberich), Denis Velev (Fafner), Melissa Zgouridi (Erda), Stéphanie Müther (Brünnhilde), Rinnat Moriah (Waldvogel). Dortmunder Philharmoniker ; direction : Gabriel Feltz.

Le deuxième volet du Ring du Théâtre de Dortmund bénéficie d'une belle distribution et surtout de l'intelligence musicale et théâtrale d'un metteur en scène d'exception.

Comme la veille dans La Walkyrie, le premier acte est le plus faible de la soirée. La mise en scène de offre une solide comédie, mais sans grande révélation par rapport à toute la tradition wagnérienne moderne : ce Mime en vieille blouse, ce Siegfried mal dégrossi, on n'est pas sûrs de ne pas les avoir déjà vus, et même le fait que l'ensemble a lieu dans un container n'est pas pour nous surprendre. Il y a, naturellement, quelques malices de la part du metteur en scène, à commencer par cet ours bipède grand format, mais cette comédie bon enfant reste un peu trop familière. Konwitschny, certes, a le mérite de faire sortir le personnage principal de l'habituelle caricature du héros surpuissant ; le problème est que l'interprétation musicale suit un peu trop fidèlement cette entreprise et prive l'acte de toute sa vitalité : cela concerne d'abord l'orchestre, constamment ralenti sans profit dramatique ou émotionnel, mais cela concerne aussi les chanteurs, en Siegfried à court de puissance, un Mime un peu lymphatique, et surtout un Wotan bien éteint, en complet contraste avec le brillant Tomasz Konieczny la veille : a lui aussi chanté le rôle sur beaucoup de grandes scènes, mais il a trop de mal à se faire simplement entendre pour pouvoir proposer une interprétation suffisamment approfondie.

Un orchestre enfin dramatique

Tout change, fort heureusement, avec le deuxième acte qui est un véritable régal, musical comme scénique. Dès les premiers mots, impressionne en Alberich à vif ; à défaut de trouver l'ampleur nécessaire, parvient à garder un certain équilibre – qu'il ne parviendra pas à conserver jusqu'à sa dernière scène avec Erda à l'acte III. L'orchestre, lui, sans atteindre tout à fait le lustre des orchestres des grandes maisons, assure l'essentiel, et montre qu'il sait mettre de l'action et répondre à l'humour de la partition et de la mise en scène : il n'est plus question désormais d'ennui, bien au contraire.

Un container, encore un, occupe la scène ; cette fois, il est fermé, masquant le repaire du dragon. C'est donc là que Mime conduit Siegfried : pas plus que dans l'acte précédent il n'est un héros de légende, mais sans aucun doute un brave gars, curieux et un peu naïf. Quand l'oiseau commence à chanter, il jette un regard curieux vers les instruments de la fosse ; quand il s'emploie à lui répondre, un corniste en chair et en os vient sur scène lui proposer son instrument, mais Siegfried préfère le laisser en jouer, et lui-même écoute avec ravissement : scène, salle, fosse, musique et théâtre, Konwitschny fait preuve d'une constante gourmandise quand il s'agit d'explorer toutes les dimensions de son art, sans jamais oublier la place royale de la musique.

Il faut donc que Siegfried fasse tomber la façade du container pour que le trésor nous soit révélé. On y découvre le dragon et l'oiseau dans une baignoire en or massif, les murs couverts d'or. L'oiseau est une ballerine aux mouvements contraints par l'animalité (et Rinnat Moriah met dans son jeu théâtral la même vivacité que dans son chant), Fafner est un homme qui, banalement, ne sait vraiment que faire de sa richesse toute neuve. C'est pour ainsi dire sur un malentendu que Siegfried, ce brave garçon qui ne pense pas à mal, le tue – est parfait en héros benêt, pour le jeu, mais aussi pour sa voix qui sait faire passer tout l'humour de son texte. La scène avec le dragon est un grand moment d'humour, mais l'émotion passe tout de même quand la bête est vaincue et parvient à la sagesse.

À l'acte III, le paysage se transforme : on trouve certes Erda dans un congélateur, à l'intérieur d'un container cette fois purement fonctionnel, et cette Erda à la voix d'airain () dévore sans trembler son Wotan déconfit, mais un périlleux changement de décor accumule les containers et les préfabriqués, en un triste paysage urbain qui masque le chemin de Siegfried vers le rocher : les harpes qui matérialisaient le feu à la fin de La Walkyrie réapparaissent, pour révéler une scène vide, si on excepte la présence en son centre de Brünnhilde endormie. Le moment est alors venu de retrouver la Brünnhilde de , que l'enchaînement des représentations ne semble pas affecter : à la rare exception de quelques phrases parlando pas très bien venues, elle rayonne d'une lumière et d'une chaleur très humaine. Elle parvient même à ne pas prendre le dessus sur son Siegfried, qui se défend vaillamment pour cette dernière scène.

Crédits photographiques : © Thomas Jauk

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