Une 7e de Bruckner d’une apollinienne beauté par Tugan Sokhiev et la Staatskapelle de Dresde
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Paris. Philharmonie. Grande Salle Pierre Boulez. 27-V-2025. Dimitri Chostakovitch (1906-1975) ; Concerto pour violoncelle et orchestre n° 1 en mi bémol majeur op. 107 ; Anton Bruckner (1824-1896) : Symphonie n° 7 en mi majeur. Sol Gabetta, violoncelle. Sächsische Staatskapelle Dresden, direction : Tugan Sokhiev.
Après Hambourg, Berlin, Munich et Bâle, et avant Toulouse, la mythique Staatskapelle de Dresde conduite par Tugan Sokhiev marque une nouvelle étape à la Philharmonie de Paris, le temps d'un concert appariant deux œuvres célèbres : la Symphonie n° 7 d'Anton Bruckner et le Concerto pour violoncelle n° 1 de Dimitri Chostakovitch avec Sol Gabetta en soliste.
Le Concerto pour violoncelle n° 1 de Chostakovitch fut inspiré et créé en 1959 par Rostropovitch qui en était le dédicataire. Il comprend quatre mouvements dont la violoncelliste Sol Gabetta livre une interprétation « à fleur de peau », engagée et haute en couleurs, où se conjuguent tout à la fois le lyrisme et la virtuosité de son jeu avec l'excellence complice et équilibrée de l'admirable phalange saxonne. Ouvert par le cryptogramme musical du compositeur (DSCH : ré-mi bémol-do-si) omniprésent tout au long de l'œuvre, clamé à découvert par Sol Gabetta, le premier mouvement Allegretto fait valoir le jeu un rien rugueux et très rythmique de la soliste, exalté par les stridences de la petite harmonie et des cuivres (cor) qui contrastent avec le lyrisme envoutant du quatuor. Le Moderato où chante une sombre mélodie du cor solo, renforcée par la matité soyeuse des cordes (violoncelles) met en avant la belle sonorité du Matteo Gofriller de 1725, magnifiée par un sublime legato et une profondeur d'intonation confondante, avant qu'une coda décantée ne laisse subsister que les notes esseulées du célesta. D'un lyrisme intense, la Cadence, toute de virtuosité, d'émotion et d'expressivité, précède l'Allegro final dont le ton sarcastique et grinçant est souligné à l'envi par les saillies de la petite harmonie dans une joute serrée avec l'orchestre qui flamboie de tous ses pupitres (petite harmonie, petite clarinette, cordes graves, violoncelle solo et percussions) dont on apprécie la rigoureuse mise en place.
Une chanson populaire espagnole de Manuel de Falla, « Nana », conclut dans la sérénité, avec la complicité du célesta, cette magnifique interprétation de la celliste argentine.
Tout autre climat pour la deuxième partie de concert, entièrement dédiée à la Symphonie n° 7 d'Anton Bruckner (création à Leipzig en 1884 par Arthur Nikisch). Là encore Tugan Sokhiev nous en offre une interprétation d'une beauté qui témoigne de la lourde hérédité brucknérienne de la phalange saxonne. Aboutissement d'un art qui s'est longtemps cherché, qui associe clarté de l'architecture et plénitude irradiante des thèmes, la Septième ne connut que peu de révisions (aucune si l'on excepte le fameux coup de cymbale de l'Adagio). Son langage harmonique, le profil de certains éléments thématiques et ses couleurs orchestrales (tubas wagnériens) portent les stigmates de l'admiration éperdue qu'Anton Bruckner portait à Richard Wagner, mort l'année précédente, en 1883. Elle comprend quatre mouvements. Sans céder à la dilatation très spiritualisée du temps, Ô combien émouvante, d'un Celibidache, le premier mouvement Allegro moderato est mené sur un tempo raisonnable, imprégné d'une ferveur inquiète et confiante (la Septième est contemporaine d'une première version du Te Deum), Tugan Sokhiev y souligne avec maestria les effets de masse, comme les rythmes processionnels, enrobés d'un lyrisme noble et pudique où l'on admire tout particulièrement la souplesse des cordes graves (contrebasses), les prestations de la petite harmonie, la rondeur des cuivres, la clarté de la mise en place et la transparence de la texture dégageant de nombreux contrechants, autant que la dynamique tendue, fortement nuancée qui conduit à des crescendos remarquablement amenés. On souscrit à l'efficacité et à la précision de la direction très atypique « très corporelle » (mains nues et utilisant tout le corps) du chef, autant qu'aux superbes prestations solistiques individuelles. Annoncé par les tubas wagnériens, l'Adagio associe lyrisme et tension dans une sorte de prière, poignant « In memoriam » adressé au maitre de Bayreuth. Sur un tempo lent empreint de solennité, cordes graves et tuben wagnériens entament une procession endeuillée, réhaussée par la péroraison consolatrice des violons avant qu'un vaste crescendo ne conduise au climax marqué par un retentissant coup de cymbales, suivi d'une lugubre coda sollicitant encore une fois tuben, violon solo et flute. Dans un saisissant contraste, le Scherzo apporte un moment de détente sur une dynamique très rythmique soulignée par des attaques tranchantes des cordes et des appels de cuivres (trompette et trombones) interrompu en son mitan par un trio aux allures pastorales de danse populaire, avant que le Finale ne se développe sur un dialogue tendu et énergique entre tous les pupitres pour apporter une conclusion grandiose et fervente à cette très belle et convaincante lecture.
Crédits photographiques : Sol Gabetta © Julia Wesely ; Tugan Sokhiev © Marken fotografie
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Paris. Philharmonie. Grande Salle Pierre Boulez. 27-V-2025. Dimitri Chostakovitch (1906-1975) ; Concerto pour violoncelle et orchestre n° 1 en mi bémol majeur op. 107 ; Anton Bruckner (1824-1896) : Symphonie n° 7 en mi majeur. Sol Gabetta, violoncelle. Sächsische Staatskapelle Dresden, direction : Tugan Sokhiev.