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Toulon. Le Liberté. 16-V-2025. Jacques Offenbach (1819-1880) : La Belle Hélène, opéra-bouffe en trois actes, livret d’Henri Meilhac et Ludovic Halévy. Mise en scène : Alice Masson et Quentin Gibelin. Décors : Anne-Sophie Grac. Costumes : Quentin Gibelin. Lumières : Clémentine Pradier. Avec : Anne-Lise Polchlopek, soprano (Hélène) ; Filipe Manu, ténor (Pâris) ; Charlie Guillemin, ténor (Ménélas) ; Jean-Kristof Bouton, baryton (Agamemnon) ; Joé Bertili, basse (Calchas) ; Brenda Poupard, soprano (Oreste) ; Mathys Lagier, ténor (Achille) ; Fabien Hyon, ténor (Ajax I) ; Timothée Varon, baryton (Ajax II) ; Axelle Saint-Cirel, mezzo-soprano (Bacchis) ; Héloïse Poulet, soprano (Parthénis) ; Charlotte Bozzi, soprano (Léœna). Chœur (chef de chœur : Christophe Bernollin) et Orchestre de l’Opéra de Toulon, direction musicale : Romain Dumas
La plus tordante des héroïnes d'Offenbach ne s'ébat pas aussi génialement qu'on l'espérait dans la mise en scène appuyée d'Alice Masson et Quentin Gibelin.
La Belle Hélène est la première œuvre que Jacques Offenbach écrivit après qu'un décret de Napoléon III eut instauré la liberté des théâtres. Jouer n'importe quoi n'importe où : voilà qui ne pouvait que stimuler encore le talent du petit Mozart des Champs-Élysées que les 227 représentations de son Orphée aux Enfers au Théâtre des Variétés avait intronisé en compositeur à la mode. Aux Bouffes-Parisiens, les 351 représentations de La Belle Hélène sous le seul Second Empire, et son succès jamais démenti, ont validé la prophétie d'un critique de l'époque : « La Belle Hélène montera sur les épaules d'Orphée. » Si Don Giovanni est « l'opéra des opéras », La Belle Hélène peut assurément prétendre au titre d'« opérette des opérettes ». Son hilarant livret, son alignement de tubes mémorables sont l'assurance d'une soirée fertile en satisfactions.
D'où vient que, ce soir, au Liberté qui accueille le spectacle à quelques mètres de l'Opéra de Toulon plongé dans les affres de la rénovation, le compte n'est y pas tout à fait malgré l'incontestable énergie dépensée par les auteurs de cette nouvelle version ? Le rideau se lève sur un décor d'arcades antiques que la note d'intention, pour justifier l'ambition d'une vison qui se veut une « satire d'anticipation », identifiera comme les ruines dans lesquelles se réfugie une époque (la nôtre) où « le jeunisme est norme », et qu'une sorte de grande panne a privée de technologie. C'est bien là que blesse le bât : sans l'a posteriori de cet explicatif préalable, l'Acte I navigue à vue entre le carton-pâte du décor et la griffe du code vestimentaire, banalement contemporain pour le chœur, télévisuel pour les solistes, avec d'indéchiffrables écarts mythologiques. Du coup les chorégraphies d'Alice Masson hésitent entre le réjouissant et le scolaire, à l'instar de la direction d'acteurs, très appuyée (l'entrée d'Achille). La grande scène parlée de La Fête de l'intelligence ne fait pas aussi mouche qu'elle le devrait. On se rattrape çà et là aux branches des quelques gags : ce danseur se révélant être une des déesses du Mont Ida, cette poursuite indiscrète qui isole les protagonistes sur Pars pour la Crête !, cette issue de secours apposée sur le décor et qui aurait dû (si un aléa technique ne l'avait pas empêchée) se mettre à clignoter au moment où l'on invite Ménélas au voyage, et bien sûr les traditionnelles allusions obligées à l'Espace et au Temps (la rade de Toulon). L'Acte II est mieux maîtrisé : la mise à nu d'une Hélène se délestant de ses attributs d'influenceuse (mention à l'hilarante choriste qui récupère la prothèse mammaire !), les costumes des deux amants (l'impayable diadème qui couronne Pâris !)… Le III, ouvert sur une très esthétique pluie de bulles de savon, est une franche réussite avec ses tenues de bain en rouge et noir pour tous, la revue menée à un train d'enfer par un Oreste pansexuel (« mon fils, heu, ma fille, heu… » : Agamemnon lui-même en perd ses mots), et le traitement LGBT, dorénavant incontournable, de Pâris en « gai » de service.
Les excellents artistes engagés ne se font pas prier pour forcer le trait. Jean-Kristof Bouton tire à vue avec un Agamemnon de grande stature sonore. En Calchas ne rechignant pas à enfiler le short à paillettes, Joé Bertili venge un personnage que la sourcilleuse censure cléricale de 1864 avait fait rogner en amont de la création. Mathys Lagier, Fabien Hyon et Timothée Varon, respectivement Achille, Ajax I et Ajax II, ne sont pas en reste lorsqu'il s'agit de se déhancher de concert. Charlotte Bozzi et Héloïse Poulet sont d'accortes Parthénis et Léœna, et Axelle Saint-Cirel (Miss JO 2024) une parfaite Bacchis. Le Ménélas de Charlie Guillemin plaît beaucoup au public. Aussi remarquable qu'en Enfant dans le récent diptyque Ravel de l'Opéra d'Avignon, Brenda Poupard explose en Oreste. Pas toujours compréhensible dans les dialogues parlés, Filipe Manu est un Pâris aux aigus assurés, qui semble lui aussi ravi de faire don de son corps à la folie générale. Il forme un couple des plus savoureux avec l'Hélène impressionnante d'Anne-Lise Polchlopek. Le chœur, visiblement déstabilisé par les nombreuses chorégraphies, accuse plusieurs décalages. Peut-être contraint par son repli forcé sur le plateau du Liberté, l'Orchestre sonne un peu étique, ce qui n'empêche pas la direction énergique de Romain Dumas de s'offrir quelques climax : le faux orage du I, la conclusion du II…
Aux saluts, Alice Masson et Quentin Gibelin font s'abattre une nouvelle pluie de bulles de savon, mais cette fois sur leur public, audiblement ravi. N'empêche : malgré son avalanche de bonnes idées, cette nouvelle Belle Hélène aurait pu sortir du simple cadre d'un spectacle plaisant. Une dramaturgie plus lisible, un second degré plus assumé : la mécanique redoutable de « l'opérette des opérettes » mérite l'attention des grandes œuvres.
Crédit photographique : © Aurélien Kirchner
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Toulon. Le Liberté. 16-V-2025. Jacques Offenbach (1819-1880) : La Belle Hélène, opéra-bouffe en trois actes, livret d’Henri Meilhac et Ludovic Halévy. Mise en scène : Alice Masson et Quentin Gibelin. Décors : Anne-Sophie Grac. Costumes : Quentin Gibelin. Lumières : Clémentine Pradier. Avec : Anne-Lise Polchlopek, soprano (Hélène) ; Filipe Manu, ténor (Pâris) ; Charlie Guillemin, ténor (Ménélas) ; Jean-Kristof Bouton, baryton (Agamemnon) ; Joé Bertili, basse (Calchas) ; Brenda Poupard, soprano (Oreste) ; Mathys Lagier, ténor (Achille) ; Fabien Hyon, ténor (Ajax I) ; Timothée Varon, baryton (Ajax II) ; Axelle Saint-Cirel, mezzo-soprano (Bacchis) ; Héloïse Poulet, soprano (Parthénis) ; Charlotte Bozzi, soprano (Léœna). Chœur (chef de chœur : Christophe Bernollin) et Orchestre de l’Opéra de Toulon, direction musicale : Romain Dumas