L’introspection artistique de Benoit Dumon

Contre-ténor et claveciniste, Benoit Dumon nous offre ici une incroyable expérience solitaire en s'accompagnant lui-même au clavier, dans un florilège de pièces du XVII^e siècle.

Héritiers de l'humanisme de la Renaissance, les compositeurs du XVII^e siècle étaient fréquemment multi-instrumentistes et curieux de tous les arts. Il était courant qu'un chanteur s'accompagne lui-même au luth, comme Caccini qui jouait la harpe ou le théorbe en chantant. C'est cet esprit humaniste qu'a souhaité retrouver ici Benoit Dumon, poussant bien loin l'éclectisme artistique puisqu'il a aussi réalisé lui-même la prise de son de cet enregistrement. Et construit de ses propres mains l'orgue que l'on entend ici !

Un chanteur qui s'accompagne lui-même au clavecin : on est d'abord partagé entre curiosité et un peu de crainte. On se souvient des performances de Sergio Vartolo à l'orgue dans les années 90, pas toujours très convaincantes. Mais on connaît les qualités vocales de Benoit Dumon et ses talents de claviériste, et on est totalement rassuré à l'écoute du résultat, et même plus : enthousiaste ! Le musicien maîtrise parfaitement les codes de l'interprétation de ces pièces du premier baroque, aussi à l'aise dans l'ornementation vocale que dans la réalisation inventive de la basse continue.

Les quatre pièces pour clavier (orgue et clavecin) qui ponctuent le programme vocal illustrent à merveille l'art de la variation dans l'Europe du XVII^e siècle. Quant aux pièces vocales, ce sont presque toutes des « tubes » de l'époque, à l'image de l'air Si dolce è il tormento de Monteverdi. Les tourments de l'amour y sont exaltés en une interprétation toute en sensualité, ponctuée par de subtiles intermèdes improvisés au clavecin. Dans cette pièce comme dans deux autres airs, Benoit Dumon a choisi d'enrichir le propos par une contre-partie ajoutée à l'orgue en re-recording, du plus bel effet.

Les pièces de Purcell, O Solitude (qui donne son nom à l'album) et Music for a while s'inscrivent parfaitement dans ce cheminement introspectif qui est le fil conducteur du programme, avec leur obstinato en forme de mouvement perpétuel. Construite sur une base de deux notes qui symbolisent le balancement d'une berceuse, la Canzonetta sopra alla nanna de Merula nous conduit du berceau du Christ à la Pietá dans un raccourci poignant ; la voix de Benoit Dumon change de tessiture avec beaucoup de souplesse, passant avec naturel de la voix de poitrine à la voix de tête. Enfin, un air de cour de Charpentier, tout empreint d'italianisme sur une basse de chaconne, nous rappelle le pastiche plein d'humour dont Benoit Dumon nous avait offert une vidéo sur Youtube au moment du confinement en 2020, l'air apocryphe « Les doux attraits de Chloroquine« , qui nous montrait une autre facette de l'inventivité de cet artiste hors-normes. Et si les talents de Benoit Dumon sont variés, la musicalité est toujours au rendez-vous. Un superbe voyage intérieur.