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Samson et Dalila à Saint-Étienne : sanglante page d’histoire en noir et blanc

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Saint-Étienne. Grand Théâtre Massenet. 9-V-2025. Camille Saint-Saëns (1835-1921) : Samson et Dalila, opéra en trois actes sur un livret de Ferdinand Lemaire, d’après le Livre des Juges de l’Ancien Testament. Mise en scène et scénographie : Immo Karaman. Costumes et chorégraphie : Fabian Posca. Vidéo : Franck Böttcher. Avec : Florian Laconi, ténor (Samson) ; Marie Gautrot, mezzo-soprano (Dalila) ; Philippe-Nicolas Martin, baryton (le Grand Prêtre) ; Alexandre Baldo, baryton-basse (Abimélech) ; Louis Morvan, baryton-basse (un Vieillard hébreu) ; Corentin Backès, ténor (un Messager philistin) ; Frédéric Bayle, ténor (Premier Philistin) ; Christophe De Biase, baryton (Deuxième Philistin). Chœur lyrique Saint-Étienne Loire (chef de chœur : Laurent Touche) et Orchestre Symphonique Saint-Étienne Loire, direction musicale : Guillaume Tourniaire

Avec cette production importée du Theater Kiel, et dans la foulée d'un Cav/Pag encore dans les mémoires, la maison stéphanoise peut s'enorgueillir d'une nouvelle réussite.

C'est en Allemagne, en 1877, que, grâce à l'entregent de Liszt et au terme d'une dizaine d'années de travail, Samson et Dalila vit le jour. Et c'est d'Allemagne que le plus célèbre des treize opéras de revient, dans la très intéressante production imaginée pour Kiel par . Un nom qui résonne tout particulièrement aux oreilles de ceux qui, à l'Opéra de Dijon sous l'ère Joyeux, avaient assisté à la création française de Koma de Georg Friedrich Haas, pour laquelle le metteur en scène allemand avait fait montre d'une indéniable personnalité scénique. C'est également le cas au Grand Théâtre Massenet. Le sublime Dieu ! Dieu d'Israël ! introductif fait se lever le rideau avec une lenteur calculée sur une nuit d'encre qui révèle progressivement le chœur massé dans la pénombre, devant ce qui ressemble à un vertigineux trampoline se perdant dans les cintres : une manière de déversoir des malheurs du monde en forme de page blanche sur laquelle va justement s'écrire une page d'histoire. Une histoire qui bégaie (on s'y affronte déjà à Gaza) mais que le metteur en scène, aux antipodes de la récente version avignonnaise, quant à elle très ancrée dans la contemporanéité, préfère circonscrire dans un espace mental. Réduire un opéra gorgé de couleurs (notamment orientalisantes) à l'os des passions qui habitent ses personnages : un parti-pris certes audacieux mais au final non moins saisissant que l'absence de vision en vogue dans bien des productions plus luxueuses, souvent étouffées par leur propre décorum.

Feuille froissée par la vidéo écrite à l'encre noire, feuille vierge meublée d'armoires aux fantasmes, circonscrite pour les intérieurs de l'Acte II, ou percée de fenêtres pour la prison et le temple au III, mais le plus souvent immaculée, sur laquelle « le duel à trois » se joue au scalpel. Costumes noirs pour les gentils (Hébreux), blancs pour les méchants (Philistins) : voilà qui nous change… Une armada de clones de Dalila incarnée par dix danseurs des deux sexes apporte le mouvement qui pourrait faire défaut à un concept faisant fi de tout accessoire, une poignée de chaises et un masque d'escrimeur exceptés. Le concept est parfaitement en osmose avec l'ambition initiale de Saint-Saëns de composer un oratorio à partir du livret que Voltaire avait écrit pour Rameau en vue d'un Samson qui ne vit jamais le jour (même si reconstitué en 2024 par Claus Guth et Raphaël Pichon à Aix), et qui ne discrédite en rien une réalisation esthétique et spectaculaire, jusqu'à un écroulement final du Temple de Dagon absolument convaincant.

C'est quasiment devenu une coutume à Saint-Étienne : la distribution n'appelle aucune réserve sérieuse. De rôles secondaires bien assurés se détachent l'Abimélech d', mais surtout, déjà repéré dans la récente Juliette niçoise, le jeune , intense Vieillard Hébreu. Lui aussi très juvénile, en tout cas plus que ceux de la tradition, le Grand-Prêtre de ne fait pas montre de moins d'autorité que ses prestigieux aînés. Malgré un costume qui aurait nécessité une coupe plus ajustée, réitère son altière Dalila d'Avignon, « dalilant » à loisir (ainsi que le disait le compositeur) en s'emparant crânement des airs composés pour le métal spécifique de Pauline Viardot. On reste confondu devant la générosité avec laquelle , probablement le seul prétendant français actuel au cénacle très restreint des Samson, affronte la tessiture meurtrière du héros jusqu'à un « en les écrasant en ce lieu » proprement insensé. Dernier personnage principal de ce quatuor de tête d'un opéra qui aurait dû être une œuvre d'église, et parfois chorégraphié, le chœur affiche la puissance et l'intériorité qui sont l'apanage des grandes fresques religieuses. La direction de n'est pas en reste, qui dès le début (le premier accord des cordes graves !) empoigne protagonistes et spectateurs dans un mouvement dont l'ardeur proprement militante semble viser la dernière image et seule allusion temporelle de Karaman : sur le ciel noir qui s'est abattu sur le Temple de Dagon, le metteur en scène rappelle à l'encre blanche que Samson est le premier terroriste-kamikaze encensé de l'Histoire.

Crédit photographique : © Cyrille Cauvet

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Saint-Étienne. Grand Théâtre Massenet. 9-V-2025. Camille Saint-Saëns (1835-1921) : Samson et Dalila, opéra en trois actes sur un livret de Ferdinand Lemaire, d’après le Livre des Juges de l’Ancien Testament. Mise en scène et scénographie : Immo Karaman. Costumes et chorégraphie : Fabian Posca. Vidéo : Franck Böttcher. Avec : Florian Laconi, ténor (Samson) ; Marie Gautrot, mezzo-soprano (Dalila) ; Philippe-Nicolas Martin, baryton (le Grand Prêtre) ; Alexandre Baldo, baryton-basse (Abimélech) ; Louis Morvan, baryton-basse (un Vieillard hébreu) ; Corentin Backès, ténor (un Messager philistin) ; Frédéric Bayle, ténor (Premier Philistin) ; Christophe De Biase, baryton (Deuxième Philistin). Chœur lyrique Saint-Étienne Loire (chef de chœur : Laurent Touche) et Orchestre Symphonique Saint-Étienne Loire, direction musicale : Guillaume Tourniaire

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