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En vidéo, l’Eugène Onéguine de La Monnaie mis en scène par Laurent Pelly

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Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893) : Eugène Onéguine, opéra en trois actes et sept tableaux. Livret de Constantin Chilovsky et de Piotr Ilitch Tchaïkovski. Mise en scène et costumes : Laurent Pelly. Décors : Massimo Troncanetti. Lumières : Marco Giusti. Chorégraphie : Lionel Hoche. Avec Stéphane Degout, baryton (Eugène Onéguine) ; Sally Matthews, soprano (Tatyana) ; Lilly Jørstad, mezzo-soprano (Olga) ; Bogdan Volkov, ténor (Lensky) ; Nicolas Courjal, basse (le prince Gremin) ; Bernadetta Grabias, mezzo-soprano (Madame Larina) ; Cristina Melis, mezzo-soprano (Filipyevna) ; Christophe Mortagne, ténor (Monsieur Triquet) ; Carlos Martinez, basse (le Precentor) ; Kris Belligh, baryton (Le Capitaine) ; Kamil Ben Hsaïn Lachiri, baryton (Zaretsky). Chœur de la Monnaie (chef de chœurs : Jan Schweiger). Orchestre de la Monnaie, direction : Alain Altinoglu. Réalisation : François Roussillon. 1 Blu-Ray Naxos. Filmé les 7 et 11 février 2023 au Théâtre de la Monnaie. Sous-titrage en allemand, anglais, français, japonais et coréen. Notice de présentation en anglais. Durée : 148’

 

Avec , et , de belles incarnations vocales au sein d'un dispositif scénique sobre mais quelque peu écrasant.

Il s'agit avec ce Blu-Ray de la captation du beau spectacle signé et ses équipes, que nous avions chroniqué dans nos colonnes en 2023. On retrouve donc cette lecture intimiste et épurée, dégagée de toute la « russité » prisée par certaines mises en scènes traditionnelles de l'opéra de Tchaïkovski. Déplacée au tournant du XXᵉ, visiblement avant les révolutions qui allaient transformer en profondeur les strates de la société russe, la transposition n'en brocarde pas moins les codes et les usages d'une société patriarcale oisive, rongée par les lois et les conventions qui allaient conduire à sa perte.

Les masses chorales du premier acte, constituées du petit peuple des ouvriers de Madame Larina, sont fortement occultées par le dispositif scénique mis en place. Elles occupent néanmoins le devant de la scène quand la bonne société pétersbourgeoise tient le pavé dans les salons du Prince et de la Princesse Grémine, ou lorsque le choeur commente au deuxième acte les frasques des jeunes protagonistes. Cet imposant dispositif est essentiellement constitué d'un plan incliné central, conçu par le scénographe Massimo Troncanetti, dispositif capable de se replier ou de pivoter sur lui-même de manière à sans cesse redessiner l'espace et à suggérer tour à tour les jardins ou les salons de Madame Larina, le lieu mortifère du duel, l'impersonnelle salle de bal du palais Grémine ou encore l'espace clos de la chambre de Tatyana, vue comme un livre-prison dans lequel est enfermée l'héroïne, prisonnière des rêves et des illusions nourries par ses lectures. Tout est fait pour suggérer les frustrations et les illusions perdues de chacun, dans un univers quasi carcéral où plus rien n'est possible et où est banni tout espoir d'un monde meilleur. Si l'on ne doute pas un instant que cet imposant dispositif, rehaussé par les élégantes lumières de Mario Giusti, a dû faire forte impression à la scène, force est de constater que l'impact sur le petit écran est moins prégnant, malgré le choix du réalisateur d'éviter les gros plans et de privilégier les vues d'ensemble, ce qui n'est pas non plus sans conséquences. Ces options un peu malheureuses ne vont pas jusqu'à empêcher d'apprécier, pour ce qu'on en voit, la direction d'acteurs, toujours aussi fine et précise dans les mises en scène de . Le visionneur du Blu-Ray portera donc son attention sur les performances individuelles des chanteurs, tous remarquables par leur chant et par leur jeu même si on les sent tous un peu perdus dans l'immensité des espaces dans lesquels on les voit évoluer.

Pour ce qui était sa prise de rôle se montre ainsi particulièrement convaincant dans son portrait d'un Onéguine cynique et désabusé, qui semble sincèrement croire en fin de spectacle aux émotions qui l'assaillent. Vocalement superbe, visiblement très préparé pour sa prononciation du russe, il rend parfaitement justice à la partition de Tchaïkovski. À ses côtés, est une Tatyana au jeu consommé, tourmentée dans ses émois de jeune fille et maîtresse d'elle-même au troisième acte, où elle domine un Onéguine déchiré par ses émotions. Souvent résonné dans les joues comme celui des grandes chanteuses russes du passé, son chant est glorieux du début à la fin de l'opéra. Frêle et cristalline au premier acte, sa voix se fait plus large lors de la confrontation finale où elle affirme ses positions tout en ne cachant pas ses sentiments. Superbement chantant, le ténor ukrainien propose un Lensky de la meilleure eau, à la fois par l'élégance de son timbre, la beauté de son legato et sa fine musicalité. Convaincant scéniquement, il est parfaitement apparié à l'Olga de Lilly Jørstad, jeune mezzo au timbre rond et chaud elle aussi particulièrement juste dans son jeu et dotée d'un bel instrument au timbre rond et velouté. Notons la qualité générale des rôles secondaires, avec le beau mezzo de en Madame Larina, la voix sensuelle de en Fillipievna et la superbe basse de qui comme tous les grands Grémine fait sensation avec son air du troisième acte. Très salué à l'applaudimètre, le ténor incarne quant à lui un truculent Monsieur Triquet. Même si la mise en scène le met un peu à l'écart aux premier et deuxième acte, le Chœur de la Monnaie livre une très belle prestation vocale, assortie d'élégants mouvement chorégraphiques lors de la polonaise du troisième acte. L'orchestre de la maison, conduit par , fait honneur à une partition fine et subtile dans sa poésie romantique, tout en assurant les passages folkloriques rythmés et dansés qui sont également partie prenante de l'univers de Tchaïkovski. Un spectacle riche et intéressant, qui ne fera pas cependant oublier d'autres lectures également disponibles en vidéo sur un marché d'une grande richesse.

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Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893) : Eugène Onéguine, opéra en trois actes et sept tableaux. Livret de Constantin Chilovsky et de Piotr Ilitch Tchaïkovski. Mise en scène et costumes : Laurent Pelly. Décors : Massimo Troncanetti. Lumières : Marco Giusti. Chorégraphie : Lionel Hoche. Avec Stéphane Degout, baryton (Eugène Onéguine) ; Sally Matthews, soprano (Tatyana) ; Lilly Jørstad, mezzo-soprano (Olga) ; Bogdan Volkov, ténor (Lensky) ; Nicolas Courjal, basse (le prince Gremin) ; Bernadetta Grabias, mezzo-soprano (Madame Larina) ; Cristina Melis, mezzo-soprano (Filipyevna) ; Christophe Mortagne, ténor (Monsieur Triquet) ; Carlos Martinez, basse (le Precentor) ; Kris Belligh, baryton (Le Capitaine) ; Kamil Ben Hsaïn Lachiri, baryton (Zaretsky). Chœur de la Monnaie (chef de chœurs : Jan Schweiger). Orchestre de la Monnaie, direction : Alain Altinoglu. Réalisation : François Roussillon. 1 Blu-Ray Naxos. Filmé les 7 et 11 février 2023 au Théâtre de la Monnaie. Sous-titrage en allemand, anglais, français, japonais et coréen. Notice de présentation en anglais. Durée : 148’

 
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