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Matsukaze, un chef-d’œuvre de Toshio Hosokawa en version mobile

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Munich. Utopia. 5-V-2025. Toshio Hosokawa (né en 1955) : Matsukaze, opéra sur un livret en allemand de Hannah Dübgen d’après le Nō de Zeami. Mise en scène : Lotte van der Bergh, Tobias Staab ; décor : Alicja Kwade. Avec (chanteurs et acteurs) : Seonwoo Lee et Yumiko Yoshioka (Matsukaze), Natalie Lewis et Yuko Kaseki (Murasame), Bruno Khouri et Mieko Suzuki (Le Pêcheur), Paweł Horodyski et Thomas Schmauser (Le moine), Corey Scott-Gilbert (L’arbre et Yukihira). Münchener Kammerorchester ; VOCES Stuttgart ; direction : Alexandre Bloch

Dans des décors de la plasticienne Alicja Kwade, l'Opéra de Bavière investit une halle modulable pour un grand moment d'émotion lyrique.

Le festival Ja mai voulu par Serge Dorny aura connu bien des contrariétés: spectacles annulés, contraintes économiques amenant à ne le programmer que tous les deux ans ; pourtant, il faut bien dire que c'est certainement le chapitre le plus positif de son bilan artistique. Le rôle du festival n'est visiblement pas de créer des œuvres nouvelles, mais de participer à la construction d'un nouveau répertoire en reprenant des œuvres récentes pour en montrer la pérennité par de nouvelles mises en scène.

Matsukaze de a été créé à La Monnaie en 2011, et la production de la création par Sasha Waltz a tourné dans le monde entier jusqu'en 2018. Cette nouvelle production, la quatrième en tout, est confiée aux jeunes chanteurs du studio lyrique de l'Opéra de Bavière, et surtout à la metteuse en scène : elle et son complice auraient aimé créer le spectacle autour d'un véritable cyprès comme celui autour duquel se passe l'action, mais les nécessités pratiques ont eu raison de ce projet – et cela vaut mieux, le temps de ce début mai étant particulièrement automnal à Munich. Le cyprès est devenu un acteur-danseur, qui incarne en même temps l'objet du désir de Matsukaze et sa sœur.

L'opéra est donc donné dans un ancien bâtiment militaire, longtemps nommé Reithalle mais récemment rebaptisé Utopia, où l'Opéra de Bavière donne des spectacles expérimentaux depuis des années. Cette salle modulable peut accueillir des gradins, mais cette fois le public est debout – du moins la partie du public qui veut profiter du spectacle ; d'autres utilisent des chaises le long des murs ou ne bougent pas de leurs trépieds, en particulier autour de l'orchestre. Il y a de quoi se laisser fasciner par l'écriture orchestrale de , peut-être encore plus raffinée ici que dans ses autres œuvres, et elle suffirait à nous occuper le temps d'une version de concert: l'œuvre mérite qu'on en apprécie la dramaturgie, et le travail de l'équipe scénique est à la hauteur de ses potentialités théâtrales. Hosokawa tire ici sa matière théâtrale d'une pièce de son Japon natal, mais il la compose en allemand, pour un public européen : on pense forcément à l'admirable Curlew River de Britten, et Hosokawa fait preuve d'une inspiration tout aussi haute pour une œuvre dont le thème est somme toute le même – l'acceptation douloureuse de l'inéluctable.

On regrette seulement que le placement de l'orchestre, au milieu de cette vaste halle, coupe aussi radicalement l'espace en deux scènes presque disjointes, le passage de l'une à l'autre obligeant à s'imposer face à la résistance passive d'une partie du public. Une autre rupture, elle, est plus pertinente : les quatre chanteurs sont présents dans la salle, bien sûr, mais en costumes noirs, tandis que leurs rôles sont incarnés par des acteurs venus de traditions différentes. Les deux fantômes féminins qui ne peuvent oublier leur amour d'autrefois sont incarnés par deux actrices de butō, le moine qui découvre leur histoire est un acteur des Kammerspiele, l'un des principaux théâtres de Munich, et le pêcheur est incarné par la musicienne Mieko Suzuki, qui a aussi conçu l'ambiance sonore qui accueille les spectateurs avant que l'opéra commence, et ce, avec un sens de la musique de Hosokawa qui permet une efficace entrée en matière. Ce dédoublement ne s'accompagne pas d'une interaction entre le chanteur et l'acteur : on évite ainsi les redondances agaçantes dans ce genre de cas, si bien que chacun d'eux est en quelque sorte porteur d'une vérité propre du personnage. Les chanteurs n'incarnent pas les personnages, mais ils ne sont pas des figures de cire : la manière dont l'émotion fait surface sur leur visage est peut-être, avec la musique de Hosokawa, le plus beau de ce spectacle.

Les jeunes chanteurs n'ont pas forcément une grande habitude de ce répertoire, mais l'écriture vocale du compositeur met admirablement leur voix en valeur : les deux sœurs chantées par et mêlent leur voix avec une grande précision musicale, mais aussi avec une générosité sensuelle qui va loin dans l'émotion. Le moine de Paweł Horodyski n'est pas en retrait, même si son personnage est d'abord un observateur. Mais beaucoup de choses, dans cet opéra, se passent à l'orchestre : le est dirigé avec générosité par , qui va jusqu'au bout du kaléidoscope que lui propose la partition ; la sonorisation, inévitable dans ce lieu, l'encourage certainement dans cette voie, et une approche plus austère est sans doute possible, mais on ne boudera pas son plaisir face aux splendeurs de timbres et de textures qu'il y trouve.

Photos : © Geoffroy Scheid

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