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Berlin. Staasoper. 26-IV-2025. Vincenzo Bellini (1801-1835) : Norma, opéra en deux actes sur un livret de Felice Romani, d’après la tragédie Norma ou L’Infanticide d’Alexandre Soumet. Mise en scène : Vasily Barkhatov. Décors : Zinovy Margolin. Costumes : Olga Shaishmelashvili. Lumières : Alexander Sivaev. Avec : Irina Lungu, soprano (Norma) ; Elmina Hasan, mezzo-soprano (Adalgisa) ; Stefan Pop, ténor (Pollione) ; Riccardo Fassi, basse (Oroveso) ; Maria Kokareva, soprano (Clotilde) ; Junho Hwang, ténor (Flavio). Staatsopernchor (Chef de chœur : Dani Juris) et Staatskapelle Berlin, direction : Francesco Lanzillotta
Subtilement décalée par Vasily Barkhatov, la Norma du Staatsoper, co-produite avec le Theater an der Wien, devrait rallier tous les suffrages.
Qui peut encore honnêtement fantasmer sur une Norma chaste et pure environnée de centurions en jupette et de druides pontifiants ? En tous cas pas le metteur en scène russe qui transporte l'action du plus célèbre opéra de Bellini, non dans un pays occupé (comme la version elle aussi décalée Leiser/Caurier/Bartoli) mais dans un pays basculant dans la dictature. Un choix dramaturgique qui ne manque pas de faire écho dans la tête des spectateurs, en ce XXIe siècle guère moins affranchi que les précédents de cette désolante tentation.
La forêt d'Irminsul a vécu, remplacée ici par une manufacture ensoleillée où, pendant l'entrée du public, s'activent longuement d'industrieuses religieuses autour de la confection de pieuses statues. Un labeur contrarié à l'heure dite du spectacle par le grondement menaçant d'une rumeur urbaine qui n'est pas sans rappeler certain Acte II de Dialogues des carmélites. Explosion: la fiévreuse Ouverture de l'opéra décrit alors l'intrusion de la soldatesque et du cortège de clichés y afférents, brutalité, viols en série… Le rideau tombe pour se relever une dizaine d'années plus tard sur une tout autre atmosphère : le lieu, sous haute surveillance, est cette fois entièrement dédié à la confection d'une seule et unique statue, celle du dictateur en place, dont le portrait avait été déroulé dès l'irruption militaire. Orovese est le délégué syndical d'un nouveau prolétariat ployant sous le joug et entré en résistance. Norma est la passionnaria de l'usine, « casta diva » qui, comme tant de femmes (et hommes) de tête en pareil cas, semble avoir sacrifié sa vie intime pour la Cause. C'est à elle que revient le rituel de la commémoration du jour funeste, autour des reliefs dorénavant vénérés d'une statue jadis brisée par la violence révolutionnaire. Seul le spectateur connaît le secret de cette chaste officiante : depuis qu'elle a cédé au premier regard au charme de l'homme qui a conduit la révolution dans son usine, elle élève les deux enfants nés de sa relation avec lui, l'ennemi du peuple. Une décennie de mensonges, ce qui n'est pas une mince affaire dans la Kommunalka où elle vit, épiée par tous ses voisins. Barkhatov fait mouche là aussi en rappelant à notre époque où il arrive que la censure advienne, non du Pouvoir, mais de vos amis d'hier, bref, comme l'avait si bien exprimé le philosophe, que l'enfer c'est les autres… Les scènes d'intimité sont réglés avec un sens remarquable du suspense (réactions des voisins de Norma, mais aussi de ses enfants, forcément mêlés aux affres sentimentaux de leur mère) et même, c'est assez inédit, de l'humour (l'apparition de Pollione à la fin du premier duo Norma/Adalgisa), dans une scénographie séduisante avec son alternance de scènes plein cadre à l'usine et de scènes plus resserrées dans la Kommunalka.
À la tête des forces de la Staatskapelle Berlin, Francesco Lanzillotta offre sans temps mort ni joliesse un vibrant dramatisme à la vision de Barkhatov. De l'intime au social, tout respire la passion échevelée. Le chœur se tient sombre, intense et enflammé autour de son « meneur », le juvénile (une fois n'est pas coutume) et très christique Orovese de Riccardo Fassi. Même l'épisodique Clotilde (Maria Kokareva, très concernée) acquiert un touchant relief. L'Adalgisa de la jeune Elmina Hasan passionne, relevant haut la main le défi de ses affrontements avec les deux rôles principaux. On avait frémi à l'annonce en bord de scène de la défection pour raison de santé de Dmitry Korchak en Pollione, mais son remplaçant au pied levé fait oublier ce désagrément : Stefan Pop révèle un Pollione solide et solaire, qui n'est pas sans raviver le souvenir de Pavarotti, même au niveau du jeu d'acteur, quelque peu monolithique (a-t-il eu suffisamment le temps de répéter ?), surtout face à la Norma de feu d'Irina Lungu, investie de son côté corps et âme dans son combat contre toutes les dictatures : celle de son pays, celle de ses thuriféraires, celle des sentiments qui l'enchaînent à un amant inconséquent, et ce qui est probablement le plus lourd à assumer, celle du mensonge l'ayant placée dans une situation proprement intenable. Son soprano arbore çà et là des couleurs ambrées du plus bel effet. La chanteuse et l'actrice sont exceptionnelles. Abandonnée par ses idéaux comme par ses fidèles, la passionnaria délaissée finit par craquer. Elle ne peut plus croire un Pollione voulant l'accompagner dans le four où elle envisage de faire de son corps la plus iconique des statues, ni même quand il finit par la sauver du suicide. Après avoir, de cette façon, lui aussi sauvé son falot héros, Barkhatov finit son bel ouvrage sur un point d'interrogation : arrachée aux flammes, et gisant au bord de la fosse d'orchestre, Norma va-t-elle se relever ?
Crédit photographique : © Bernd Uhlig
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Berlin. Staasoper. 26-IV-2025. Vincenzo Bellini (1801-1835) : Norma, opéra en deux actes sur un livret de Felice Romani, d’après la tragédie Norma ou L’Infanticide d’Alexandre Soumet. Mise en scène : Vasily Barkhatov. Décors : Zinovy Margolin. Costumes : Olga Shaishmelashvili. Lumières : Alexander Sivaev. Avec : Irina Lungu, soprano (Norma) ; Elmina Hasan, mezzo-soprano (Adalgisa) ; Stefan Pop, ténor (Pollione) ; Riccardo Fassi, basse (Oroveso) ; Maria Kokareva, soprano (Clotilde) ; Junho Hwang, ténor (Flavio). Staatsopernchor (Chef de chœur : Dani Juris) et Staatskapelle Berlin, direction : Francesco Lanzillotta
J’ai eu la chance de voir cette production à Vienne avec la fabuleuse Asmik Grigorian, une excellente Adalgisa et un Pollione
très crédible et même émouvant ( un exploit pour ce rôle !).
BR Klassik a retransmis vendredi une représentation de Berlin, mais avec une Norma différente.
Aurons nous la chance de voir cette remarquable production en France?