Yuja Wang en version haute couture dans les concertos de Chostakovitch
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Dimitri Chostakovitch (1906-1975) : Concertos pour piano n° 1 op. 35 et n° 2 op. 102. préludes op. 87/8a, 2a, 15a, op. 34 n° 5, Fugues op. 87/2b et 15b. Yuja Wang, piano, Thomas Rolfs, trompette, Orchestre symphonique de Boston, Andris Nelsons, direction. 1 CD Deutsche Grammophon. Enregistré au Boston Symphony Hall en septembre et octobre 2022 (concertos) et avril 2024 (piano solo). Notice de présentation en anglais. Durée : 50:00
Deutsche GrammophonÀ la suite de leur intégrale des symphonies de Chostakovitch et de l'enregistrement de Lady MacBeth, le Symphonique de Boston et Andris Nelsons ont achevé le cycle des concertos.
Voilà une pochette dont le visuel apparaît totalement déconnecté des œuvres annoncées et, pour tout dire, de toute musique dite “classique” : en effet, elle conviendrait aussi bien pour illustrer du Bach que du Boulez. Cela n'a d'ailleurs pas d'importance, le sujet étant la promotion de la plastique d'une artiste et de ses tenues. Elle aurait tort de s'en priver. D'ailleurs, on ne peut que s'en réjouir, l'œuvre de Chostakovitch ayant bien besoin d'un grand coup de jeune plutôt “sexy”. Toutefois, notre première impression évolue en écoutant cet album car, en effet, l'élégance virtuose et harmonieuse, le chic pour tout dire, dominent ces prestations dignes de la haute couture. CQFD.
Petite déception introductive dès les premières minutes de l'audition : la prise de son mal définie dans la profondeur de l'orchestre avec des basses lourdes et un piano impossible à localiser posent problème. Le Concerto en ut mineur s'ouvre sur les frottements rythmiques et harmoniques provocants de l'Allegretto. Il s'agit de surprendre l'auditoire avec humour, un peu à la manière de Haydn. Impossible de prendre en défaut Yuja Wang dont la technique “supersonique” commence là, où chez bien des pianistes, elle s'arrête. Pourtant, ce que nous entendons tient davantage à du Mendelssohn transposé un siècle plus tard qu'à du Chostakovitch. En effet, cette lecture aussi alerte que lisse se déroule sans caractère, malgré les interventions grandioses de la trompette de Thomas Rolfs. L'orchestre n'est pas plus appétissant dans le Lento. Parfaitement appliqués, piano et orchestre n'ont visiblement aucune idée de ce qu'est l'impertinence ou la parodie. Le Moderato devient du sous-Rachmaninov quand les cordes de l'orchestre s'épaississent en songeant probablement à du Mahler. Le concerto qui, en principe, accumule les parodies académiques dans le finale – il cite un thème extrait de l'opéra Christophe Colomb de 1929 et emprunte aussi au Rondo a capriccio “du Sou perdu” de Beethoven – brille sans toucher, fonce avec certitude, mais sans destination précise. Retour aux nombreuses versions du passé : Chostakovitch et Cluytens en premier puis Bronfman / Salonen, Kissin / Spivakov, Previn / Bernstein, Richter / Mravinski, Melnikov / Currentzis… Les références ne manquent pas dans cette œuvre.
Si le modèle classique (vif – lent – vif) est encore d'actualité lors de la création, en 1957, du Concerto pour piano n° 2, le regard du compositeur a radicalement changé. Les purges du régime soviétique, la terreur, les renoncements, l'enfermement dans une politique culturelle figée ont épuisé l'artiste. Il dédie le nouveau concerto à son fils, Maxim, qui deviendra par la suite chef d'orchestre. L'œuvre est comme beaucoup d'autres dans la production de Chostakovitch, une parenthèse dont on décèle sans peine les éléments autobiographiques. Pourtant, la simplicité de la pièce et la beauté sobre du second mouvement, ne doivent pas tromper l'auditeur même si la lettre que Chostakovitch écrivit à l'un de ses collègues, le jeune Edison Denisov, paraît sans appel : « Je compose mal. Je viens de terminer un concerto pour piano qui ne possède pas la moindre valeur esthétique et intellectuelle ». Le défi n'en est que plus grand pour les interprètes.
Le thème introductif est aussi pétillant qu'il apparaît d'une grande banalité, sautillant comme une chanson enfantine et une marche de soldats de plomb. Nos musiciens n'entendent pas restituer cette douceur amère. Les bois de la petite harmonies semblent étrangement perdus. Le piano fait le “job” avec une pulsation rythmique imparable et grâce à deux nuances dynamiques : ppp ou bien fff. Une telle efficacité se poursuit dans l'Andante dont la mélodie confine la partition dans l'esthétique “néo” ou “post” du pastiche et de la révérence, de l'attendrissement feint et… de l'émotion sincère. Yuja Wang assure un tempo assez allant et évite de tomber dans le piège de la musique d'ameublement. Le problème est que les cordes aussi allégées soient-elles portent le poids de la formation symphonique à laquelle elles appartiennent alors que c'est l'esprit chambriste qui devrait s'imposer. Les traits précipités du finale témoignent d'une exubérance presque dérangeante dans ces années cinquante : à la même époque, la Symphonie n° 11 « L'Année 1905 » évoque un tout autre climat…
Pour compléter la durée pour le moins chiche de l'album, Yuja Wang a choisi quatre préludes et deux fugues extraits des opus 34 et 87. La pianiste les joue avec la volatilité de jeu et l'intelligence musicale dont elle fait preuve dans d'autres répertoires comme les Études de Ligeti. Elle les a sélectionnés pour leur vélocité, les modes d'attaques différents, leur percussivité brillante. On n'en attendait pas moins d'elle.
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