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Lille. Opéra de Lille. 05-V-2025. Charles Gounod (1818-1893) : Faust, opéra en un prologue et 4 actes sur un livret de Jules Barbier et Michel Carré, d’après la pièce éponyme de Goethe. Mise en scène : Denis Podalydès. Collaborateur : Laurent Delvert. Décors : Éric Ruf. Costumes : Christian Lacroix. Lumières : Bertrand Couderc. Chorégraphie : Cécile Bon. Avec : Julien Dran, Faust ; Vannina Santoni, Marguerite ; Jérôme Boutillier, Méphistophélès ; Lionel Lhote, Valentin ; Juliette Mey, Siebel ; Anas Séguin, Wagner ; Marie Lenormand, Dame Marthe ; Alice Leborgne, l’Enfant (rôle muet) ; Julie Dariosecq, Elsa Tagawa, danseuses ; Alexis Debieuvre, Léo Reynaud, comédiens. Chœur de l’Opéra de Lille (Chefs de Chœur : Mathieu Romano, Louis Gal). Orchestre national de Lille, direction musicale : Louis Langrée.
Coproduit avec l'Opéra Comique de Paris, Faust de Gounod retrouve à Lille sa version originale de 1859, sous la direction tout en finesse et pleine de contrastes de Louis Langrée. Très théâtrale, la mise en scène de Denis Podalydès s'accorde à l'alternance de dialogues parlés et chantés, à commencer par ceux de Julien Dran dans le rôle-titre.
Connu depuis plus d'un siècle exclusivement dans sa version définitive révisée en cinq actes pour l'Opéra de Paris, Faust est pourtant écrit pour le Théâtre-Lyrique dix ans plus tôt par Charles Gounod, comme un opéra-comique en quatre actes et un prologue. De cette version de 1859, déjà bien remaniée dès la création à la demande de l'institution parisienne, l'équipe musicale lilloise soutenue par le travail de la Fondation Palazzetto Bru Zane tire aujourd'hui une nouvelle mouture la plus originale possible, dont certains choix restent cependant assumés par le directeur musical de la production et actuel directeur de l'Opéra Comique (coproducteur), Louis Langrée.
Ainsi, on redécouvre les dialogues parlés déjà utilisés dernièrement dans l'édition CD Bru Zane dirigée par Christophe Rousset (avec Benjamin Bernheim et Véronique Gens), mais la version présentée à l'Opéra de Lille contient encore des surprises, dont une superbe pépite ! Tout d'abord, exit l'air de Valentin à l'acte II (ici acte I puisqu'après le Prologue), puisque le rôle gagne une importante visibilité en dernière partie de soirée, en l'occurrence sous la coupe du baryton Lionel Lhote, d'un beau phrasé empli de nuances jusqu'à sa mort. Puis on oublie aussi le grand air du « Veau d'Or », sans doute le meilleur des multiples composés par Gounod. Plutôt que celui-ci ou la variation déjà connue « du Scarabée » reprise dans l'édition précitée, Louis Langrée privilégie un inédit « air du chiffre treize », qui justifie alors le compte jusqu'à cet ultimatum dans la dernière partie de l'œuvre. Et surtout, en plus des nombreux dialogues parlés et nouveaux trios bien plus précis que les récitatifs de la version définitive, notamment pour expliquer le rôle de Siebel comme étudiant du vieux Docteur Faust, ou la place de voisine – un peu mure – Dame Marthe, c'est surtout la cabalette, chantée après la très célèbre cavatine « Salut ! Demeure chaste et pure », retrouvée il y a quelques années par chance dans une brocante, qui vaut à elle seule l'intérêt de cette nouvelle version.
Magnifiquement chantée par Julien Dran, cette deuxième partie de l'air, coupée dès 1859 par le créateur Joseph-Théodore-Désiré Barbot, annonce dès cet instant que Faust comprend s'être vendu à Méphistophélès ; cette précision justifie donc sa fuite après avoir donné un enfant hors-mariage à Marguerite, et explicite bien mieux la fin du drame. Très puissante, surtout avec un suraigu conclusif tenu de longues secondes comme en ce soir de première par le ténor français, la cabalette occulte presque la cavatine, pourtant plus géniale par son célèbre thème. Pour le reste, Julien Dran parvient très bien à modifier le timbre de sa voix dans le dessein de se vieillir au Prologue, et reste pendant toute la soirée le chanteur le plus remarquable du plateau. Malheureusement, son amante Marguerite n'a pas voulu prévenir qu'elle était limitée et avait été remplacée à la générale, mais si Vannina Santoni se montre lyrique dans certains airs et bien impliquée à la scène finale, sa voix manque souvent d'éclat et l'air des bijoux d'espièglerie. Souvent présent dans les productions du Palazzetto Bru Zane, Jérôme Boutillier ne convient pas totalement au timbre de Méphistophélès, attendu plus noir et plus profond, mais ce diable cabotin fonctionne bien dans cette version opéra-comique, d'où ressort aussi très bien le Wagner enjoué (et souvent aviné) d'Anas Séguin, qui vole d'abord la vedette au Siebel un peu sage de Juliette Mey, avant l'apparition de la Dame Marthe amusante à souhait de Marie Lenormand.
En vraie proposition de théâtre, dans la veine de celles que l'on peut voir à la Comédie Française, Denis Podalydès propose avec Éric Ruf une scène vide pour introduire l'ouvrage dans le noir, au risque de ne pas donner assez de force comique au premier texte de Wagner, pourtant écrit d'une belle justesse sous les plumes de Carré et Barbier. Quelques éléments de mobiliers servent ensuite à imager les lieux d'actions, comme des meubles ou un cadre de porte descendus ou remontés sur filins, toujours positionnés à quelques centimètres du sol pour rester statiques, même quand la tournette contraint à faire marcher ou courir les protagonistes. Sans renouveler notre vision de l'œuvre, Podalydès accompagne d'une grande justesse dramaturgique cette version initiale de l'opéra, bien avivée dans les courts ballets par deux danseuses (Julie Dariosecq, Elsa Tagawa), et toujours maintenue dans les teintes sombres (lumières de Bertrand Couderc), avec un chœur d'une blancheur mortuaire qui rappelle les masque des peintures d'Ensor, en contraste avec les moments où Dieu est évoqué, toujours illuminés d'une immédiate clarté.
Particulièrement fine, la direction de Louis Langrée s'adapte à toutes les ambiances et toutes les scènes, avec un Orchestre national de Lille en formation réduite, très bon dès qu'il faut soutenir les grands thèmes de la partition. Le Chœur de l'Opéra de Lille se distingue particulièrement dans les scènes masculines, même si les soldats perdent un grand passage de la version usuelle lors du Prologue. Il participe aussi avec grandeur en formation mixte à exalter la scène finale, emportée vers des teintes parsifalienne par la vision du chef français.
Crédits photographiques : © Simon Gosselin / Opéra de Lille
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Lille. Opéra de Lille. 05-V-2025. Charles Gounod (1818-1893) : Faust, opéra en un prologue et 4 actes sur un livret de Jules Barbier et Michel Carré, d’après la pièce éponyme de Goethe. Mise en scène : Denis Podalydès. Collaborateur : Laurent Delvert. Décors : Éric Ruf. Costumes : Christian Lacroix. Lumières : Bertrand Couderc. Chorégraphie : Cécile Bon. Avec : Julien Dran, Faust ; Vannina Santoni, Marguerite ; Jérôme Boutillier, Méphistophélès ; Lionel Lhote, Valentin ; Juliette Mey, Siebel ; Anas Séguin, Wagner ; Marie Lenormand, Dame Marthe ; Alice Leborgne, l’Enfant (rôle muet) ; Julie Dariosecq, Elsa Tagawa, danseuses ; Alexis Debieuvre, Léo Reynaud, comédiens. Chœur de l’Opéra de Lille (Chefs de Chœur : Mathieu Romano, Louis Gal). Orchestre national de Lille, direction musicale : Louis Langrée.