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Berlin : distribution d’aujourd’hui pour Tosca d’hier

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Berlin. Staatsoper. 25-IV-2025. Giacomo Puccini (1858-1924) : Tosca, opéra en trois actes sur un livret de Luigi Illica et Giuseppe Giacosa, d’après la pièce de Victorien Sardou. Mise en scène : Alvis Hermanis. Décors : Kristine Jurjane. Lumières : Gleb Filshtinsky. Avec : Aleksandra Kurzak, soprano (Floria Tosca) ; Michael Fabiano, ténor (Mario Cavaradossi) ; Lucio Gallo, baryton (Baron Scarpia) ; Friedrich Hamel, basse (Cesare Angelotti) ; David Ostrek, baryton-basse (le Sacristain) ; Florian Hoffmann, ténor (Spoletta) ; Dyonisios Avgerinos, baryton (Sciarrone) ; Taehan Kim, baryton (un Geôlier) ; Käthe Rosol, soprano (un Pâtre). Staatsopernchor (chef de chœur : Dani Juris). Staatskapelle Berlin, direction : Nicola Luisotti

Une partie musicale de haute volée peut-elle à elle seule sauver une production sans intérêt, de surcroît désavouée par une technique défaillante ? C'est la question que pose le Staatsoper Unter den Linden avec cette Tosca de 2014 qui fait beaucoup plus que son âge.

« Les événements décrits dans Tosca se sont produits en 1800. Exactement cent ans plus tard Puccini écrivait Tosca. » Tracées sur l'écran qui surplombe la pièce maîtresse du décor de la Tosca d', ces quelques didascalies « méta », à l'orée du spectacle, semblent annoncer une revisitation d'un des opéras les plus populaires du répertoire : Angelotti, par exemple, avant d'être un comprimario d'opéra, fut effectivement prisonnier politique après avoir été Consul de la République romaine installée en 1798 par Bonaparte. Cet écran occupe une place non négligeable dans la scénographie de cette Tosca créée en 2014, mais qui fait plus que son âge, la réalisation du metteur en scène letton ressemblant à celles qu'on pouvait voir partout jusque avant les années 70… Dans la foulée de ce préambule historique, le décor (quasi-unique pour les trois actes) avait prévu de déléguer au susdit écran le soin de montrer les lieux et les états d'âme de l'action par le biais de peintures (d'un sommaire assez redoutable à en juger sur les photos de presse). L'Acte I tourne autour du portrait de la Madone en chantier, non sans quelque appréhension, la vidéo se mettant à dysfonctionner assez vite, condamnant l'écran à rester bloqué sur la production de Cavaradossi : ce qui peut se justifier à l'Acte I fait office de véritable trou noir pendant les Actes II et III, abandonnés à la vacuité de la mise en scène par cet écran géant désespérément muet.

Dur métier dès lors pour des chanteurs qui, s'étant peut-être trop vite réjouis d'être enfin libérés du joug réputé pesant des mises en scène contemporaines, se retrouvent comme punis à devoir porter sur leurs seules épaules, non seulement l'absence de vision du metteur en scène (aucune note d'intention dans le programme de salle), mais aussi la défection de ce qui était prévu comme le seul alibi original de la production : cette Tosca refroidit définitivement les espoirs que le nom d' avait soulevés à Salzbourg en 2012 avec ses Soldats. Tout comme il arrive qu'une annonce relative à une méforme vocale soit faite à l'orée d'un spectacle, on imagine que la direction du Staatsoper eût pu procéder de même pour cette indisposition passagère de la technique. Déjà problématique pour une réalisation inspirée, un tel aléa est la pire chose qui puisse arriver à un spectacle dont l'on s'étonne qu'il puisse être encore au répertoire d'une maison qui en a vu d'autrement mémorables. On se demande également si, au moment de se jeter dans le vide (comprendre ici : statufiée les bras en croix au-dessus de la fosse sous un écran mutique qui aurait dû montrer une peinture de sa chute du Château Saint-Ange), songe, comme nous, à une autre Tosca, celle que la soprano et son illustre époux ont cru bon de décliner (Rafael R. Villalobos à Barcelone), autrement plus stimulante que celle d'

Unter den Linden, le public du Staatsoper, pourtant habitué à des représentations haut de gamme (dernier en date, le Ring de Tcherniakov), semble à peine dérangé par la chose, qui acclame longuement l'ensemble des acteurs d'une soirée musicale, il est vrai, de très haut niveau. Tous les artistes semblent s'être donné le mot pour que personne ne se rende compte que l'opéra c'est aussi du théâtre. À commencer par , dont la poigne puccinienne secoue d'emblée la salle avec le fortissimo introductif du thème de Scarpia. Une option de pur effroi dont il ne se départira à aucun moment, exacerbant dans l'acoustique déjà généreuse du Staatsoper les effets de masse (cuivres et timbales à fond) de cet opéra des plus riches en climax. Une puissance qui ne dédaigne pas le détail, comme on peut l'entendre avec un Te deum dont les effets de canon restent bien audibles, ou, à l'opposé, avec un réveil romain tout d'émerveillement campanaire. Un concept qui fonctionne d'autant mieux qu'environné par de remarquables comprimarii, le trio de tête invité à cette reprise de la production, manifestement adepte du don de soi, est partant pour ce grand chelem sonore. D'une puissance d'acier, le métal noir de s'immisce sans effort dans le mur de son dressé depuis la fosse, même au finale de l'Acte I, moment redouté par plus d'une basse méritante. Ténor toujours très investi (son inoubliable Carmen à Aix, son Poliuto à Glyndebourne), ne s'économise pas davantage : son Mario, lumineusement déchiré entre la matière noire de son tortionnaire et la passion jusqu'au-boutiste de son amoureuse (un E lucevan le stelle sur le fil des larmes), se donne corps et âme. Succédant in loco à Sonya Yoncheva, à Anja Kampe, maîtrisant comme nombre d'illustres devancières toutes les facettes du personnage, , est, d'un registre à l'autre, une Tosca en tout point exceptionnelle. Longueur de souffle, aigu velouté et nourri dialoguant avec un registre grave dont la soprano joue en virtuose, notamment lorsque s'invite la tentation du parlando… Son Acte II est un très grand moment. Elle est l'âme de ce spectacle qui n'en avait pas.

Crédits photographiques : photo production 2019 © Hermann et Clärchen Baus/Staatsoper Berlin

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Berlin. Staatsoper. 25-IV-2025. Giacomo Puccini (1858-1924) : Tosca, opéra en trois actes sur un livret de Luigi Illica et Giuseppe Giacosa, d’après la pièce de Victorien Sardou. Mise en scène : Alvis Hermanis. Décors : Kristine Jurjane. Lumières : Gleb Filshtinsky. Avec : Aleksandra Kurzak, soprano (Floria Tosca) ; Michael Fabiano, ténor (Mario Cavaradossi) ; Lucio Gallo, baryton (Baron Scarpia) ; Friedrich Hamel, basse (Cesare Angelotti) ; David Ostrek, baryton-basse (le Sacristain) ; Florian Hoffmann, ténor (Spoletta) ; Dyonisios Avgerinos, baryton (Sciarrone) ; Taehan Kim, baryton (un Geôlier) ; Käthe Rosol, soprano (un Pâtre). Staatsopernchor (chef de chœur : Dani Juris). Staatskapelle Berlin, direction : Nicola Luisotti

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