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De Bach à Liszt, l’immense talent de Jonathan Fournel à Radio France

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Paris. auditorium de Radio France. 29-IV-2025. Jean-Sébastien Bach (1685-1750) : Concerto Italien BWV 971. Johannes Brahms (1833-1897) : Intermezzi op.117. Karol Szymanowski (1882-1937) : Variations sur un thème populaire polonais op.10. Franz Liszt (1811-1886): Sonate en si mineur. Jonathan Fournel, piano.

Dans l'auditorium de Radio France, a littéralement happé son public, avec en seconde partie de son récital une Sonate en si mineur de Liszt d'anthologie.

En dépit des nombreuses propositions parisiennes à cette date – ce soir-là pour les passionnés d'art lyrique, il y a aussi la première d'Il Trittico de Puccini à Bastille – l'auditorium de Radio France se garnit d'un public nombreux qui sait qu'il ne faut pas manquer un récital de , qui sillonne le monde depuis son Prix au Concours Reine Élisabeth. Le pianiste lui donnera raison : le concert retransmis en direct sur les ondes de France Musique (et aujourd'hui disponible à la réécoute) est un moment exceptionnel.

concentre sa pensée le temps d'un silence après les applaudissements qui saluent son arrivée sur scène. Jamais celle-ci ne se dérobera depuis l'accord qui ouvre le Concerto Italien BWV 971 de Jean-Sébastien Bach, jusqu'à l'adagio qui clôt sa Sicilienne transcrite par Wilhelm Kempff, qu'il jouera en bis. Dès les premières mesures du mouvement initial la construction est présente, évidente, claire. Le pianiste le prend à un tempo juste, cohérent, c'est-à-dire suffisamment allant et tenu pour garantir l'équilibre parfait entre concertino et ripieno orchestral dont il parvient à donner l'illusion par l'alternance d'intensités, la subtilité des nuances, pensant en permanence le détail et le tout à la fois. Le jeu ferme et naturel, il montre l'essentiel sans rajouter rien qui soit décoratif ou superflu. Quelle hauteur de vue, quelle beauté du son et quel sens de la ligne – une ligne infinie ! – dans l'Andante, joué sans affectation, mais avec une intériorité teintée souvent de tendresse ! Jonathan Fournel a intelligemment réservé la vivacité du tempo pour le Presto final, d'une grande clarté polyphonique, lumineux, particulièrement enjoué et festif. Il faut l'entendre soulever ce mouvement par un jeu de dynamiques auquel sa main gauche apporte une contribution de premier ordre et par le joyeux rebond des noires qui passent d'une main à l'autre. 

Les Intermezzi op.117 de apportent un saisissant contraste. Après le brillant, l'extraverti, viennent avec eux l'intériorité suprême, le repliement de l'âme, la lenteur surtout. Le dépouillement, la profondeur et la pudeur, la simplicité et la délicatesse de l'expression bouleversent. Jonathan Fournel nous prend dans l'intimité de cette musique, nous en enveloppe, nous extrayant du monde. Il y a quelque chose de profondément pénétrant et émouvant dans son jeu, dans les couleurs ombrées et le mouvement jamais précipité qu'il donne à ces trois pièces tardives.

C'est la variété expressive servie par une large palette de dynamiques, le toucher du pianiste toujours en éveil, qui caractérise les Variations sur un thème polonais op.10 de . Le musicien en domine la polyphonie, le sens, la forme même, là encore intégrant l'individualité de chacune et le tout qu'elles composent. Aucune lourdeur dans son jeu. Traits impalpables, « volando » parfois, effets tenant à la fois du romantisme post-Chopin et de l'impressionnisme, vagues sonores, certaines puissantes voire sensuelles, précèdent une Marche funèbre aux basses voilées de noir qui progressent vers des sonorités d'airain, laissant entendre les contrechants intérieurs dans le médium du clavier sous des aigus déchirants. Dans une vélocité hallucinante, les doigts toujours parfaitement clairs, Jonathan Fournel libère la fougue et la lumière des deux dernières variations, très lisztiennes d'esprit, jusqu'à leur glorieuse apothéose finale. 

Après l'entracte, reste le monument, l'Everest à gravir : la Sonate en si mineur de . Dès les premières gammes descendantes on retient son souffle. A partir de celles-ci on ne lâchera plus une miette de ce que l'on entendra, pendus à la moindre note, au moindre silence, l'esprit, les sens happés, pris dans le son, la présence, l'intensité, le souffle, la vision habitée de Jonathan Fournel. Le pianiste tout en portant son regard loin devant, est dans l'instant : il construit, échafaude, tout en donnant le temps à cette musique, à ses silences, à son chant, en soigne les détails tout en étant dans son organicité. Usant d'un large spectre de nuances, il en exprime la dualité, opposant des accords pleins, compacts, puissants, au délié sublime et ténu d'un chant interrogatif creusant le silence. Il déploie l'espace sonore, lui donne plus qu'une amplitude orchestrale : une grandeur. Et il chante, et chante encore, de toute sa sensibilité qui est immense. Jusqu'à cette fugue qui même dans la tempête qu'elle déchaîne, les bourrasques qu'elle soulève reste parfaitement lisible, d'une définition sonore exemplaire. Lorsque cette musique retourne au silence d'où elle est née, s'écoulent de longues secondes de ce silence absolu, avant que les gorges se dénouent et que les applaudissements fusent. Une conviction ce soir-là : à 31 ans, Jonathan Fournel appartient désormais au cercle des plus grands interprètes, au même titre qu'Arrau, Guilels et Richter en leur temps.

Crédits photographiques © Alexei Kostomin 

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Paris. auditorium de Radio France. 29-IV-2025. Jean-Sébastien Bach (1685-1750) : Concerto Italien BWV 971. Johannes Brahms (1833-1897) : Intermezzi op.117. Karol Szymanowski (1882-1937) : Variations sur un thème populaire polonais op.10. Franz Liszt (1811-1886): Sonate en si mineur. Jonathan Fournel, piano.

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1 commentaire sur “De Bach à Liszt, l’immense talent de Jonathan Fournel à Radio France”

  • Odile CARRIER dit :

    Cher Jonathan ,
    Cette éloge vient nommer et discerner tout ce que l’on ressent en t’écoutant sans jamais avoir su aussi bien l’exprimer.
    Continue à nous régaler avec ton talent, ton humilité et ta sagesse.
    Bravo !

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