La Scène, Opéra, Opéras, ResBambini, Spectacles Jeune public

Hänsel et Gretel à Berlin : une histoire de racines

Plus de détails

Berlin. Komische Oper. 21-IV-2025. Engelbert Humperdinck (1854-1921) : Hänsel und Gretel, conte théâtral en trois actes sur un livret d’Adelheid Wette, d’après le conte homonyme des Frères Grimm. Mise en scène : Dagmar Menzel. Décor : Korbinian Schmidt. Costumes : Victoria Behr. Lumières : Olaf Freese. Chorégraphie : Christoph Jones. Avec : Elisabeth Wrede, soprano (Hänsel) ; Samantha Gaul, soprano (Gretel) ; Joachim Goltz, baryton (Peter, le Père) ; Ulrike Helzel, mezzo-soprano (Gertrud, la Mère) ; Daniel Kirch, ténor (la Sorcière) ; Julia Schaffenrath, soprano (le Marchand de sable / le Marchand de rosée) ; Manni Laudenbach, rôle muet (Comédien). ; Wilma Hermine Rummel, rôle muet (L’Enfant céleste). Choeur d’enfants (chef de choeur : Dagmar Fiebach) et Orchestre du Komische Oper, direction musicale : Yi-Chen Lin

L'embarras du choix peut se transformer en casse-tête pour le visiteur occasionnel des trois maisons d'opéras berlinoises. Au Komische Oper, la mise en scène de pour Hänsel et Gretel tient cependant crânement sa barre, à quelques encablures du Vaisseau fantôme par Christian Spuck accosté au même moment au Deutsche Oper. 

, c'est la phénoménale Cléopâtre des Perles de Cléopâtre, l'opérette d'Oscar Straus ressuscitée par Barrie Kosky, qui fait les beaux soirs de la maison depuis 2016. Actrice et chanteuse, voici , pour la première fois, metteuse en scène d'opéra. Destinée autant aux enfants d'aujourd'hui comme d'hier, sa lecture du premier opéra d', sans égaler toutefois la spectaculaire version de Mariame Clément pour l'Opéra de Paris, révèle un imaginaire subtil et pénétrant dont les choix esthétiques s'affirment dès le Prélude.

La première image déroule à l'avant-scène une sorte de carte aux trésors invitant les deux créatures sexuées (aux pieds en forme de racines) de L'Invocation à la nouvelle Lune du peintre-scénographe allemand Horst Sagert, mais aussi un croquis glané dans le Voynich-Manuscrit (ouvrage médiéval anonyme faisant la part belle au végétal, codé dans une langue inconnue) et, entre les deux, une minuscule porte, crayonnée elle aussi. Quasi somnambulique, une fillette (que le programme a baptisée l'Enfant céleste) apparaît à jardin, traînant derrière elle une écharpe de fumigène. Un énigmatique personnage de conte de fée (Manni Laudenbach, le compagnon d'armes de Gâteau Chocolat du Tannhäuser de Tobias Kratzer) surgit de la carte pour inviter la fillette à satisfaire sa curiosité de l'autre côté du décor. Un décor inspiré de l'univers aérien de Heidi Bucher : un arbre cornu dans le creux duquel niche un chat inquiétant, un horizon mouvant, une forêt animée, une maison de sorcière se déplaçant sur ses deux jambes, avatar de la cabane sur des pattes de poule de la sorcière Baba Yaga… Des créatures enfuies d'un tableau de Jérôme Bosch (une paire d'oreilles indiscrètes) y voisinent avec de bienveillantes créatures (un fraisier généreux, des arbres attentionnés…).

L'orchestre sonne merveilleusement sous la baguette de . Travestis parfaitement crédibles, idéalement complémentaires, le Hänsel d' et la Gretel de sont le charme même. Revêche à souhait ou bonhomme tonitruant, et sont de réjouissants Thénardiers d'opérette. offre un timbre exquis aux Marchands de sable et de rosée. Dagmar Menzel s'en donne à cœur joie à pervertir la cauchemardesque Chevauchée de la sorcière, qu'elle transforme en une « Verwandlungsmusik » vraiment savoureuse avec sa harpie hurlante dans les airs et son hilarante mini-armada d'apprenties-méchantes tirant la langue à la rampe. La longue scène de la maison en pain d'épice calme définitivement toute velléité de frayeur enfantine avec la Sorcière du ténor , merveille de second degré façon Didier Bourdon des Inconnus. Magnifiquement préparé, le chœur des enfants libérés parachève cette ode au pouvoir sans limites de l'imaginaire enfantin que double en creux une délicate invite à la réflexion sur les enracinements respectifs de l'humain et du végétal.

Le sommet du spectacle (qui est aussi celui de la partition) est la Pantomime qui clôt l'Acte II, convoquant, autour du tertre où Hänsel et Gretel lévitent gracieusement après s'être endormis, une myriade de lucioles dansantes. Mais le plus beau, ce qui restera de ce spectacle d'une légèreté immatérielle, est la fin, qui ressuscite la Dessauer Schluss, délicieuse friandise musicale que le wagnérien Humperdinck (il assista le maître pour Parsifal) composa pour la mise en scène que Cosima Wagner réalisa en 1894 (à Dessau donc) d'Hänsel et Gretel. Cette petite marche, qui referme moins brutalement son Märchenoper, et qu'on s'étonne de ne pas voir incluse dans la pléiade des enregistrements officiels, est l'occasion rêvée pour Dagmar Menzel de rappeler en scène l'ensemble de sa distribution: commence alors, magnifiquement démultiplié sur la paroi à cour par une lumière rasante, le fantasque, progressivement rapetissé par la perspective, d'une ultime parade allant se fondre dans l'encadrement de la minuscule porte ouverte cette fois dans le lointain du plateau. Porte que referme enfin en (et avec) un clin d'oeil le Monsieur Loyal de la soirée : le toujours très énigmatique Manni Laudenbach.

Crédits photographiques : © Jan Windszus

(Visited 91 times, 1 visits today)

Plus de détails

Berlin. Komische Oper. 21-IV-2025. Engelbert Humperdinck (1854-1921) : Hänsel und Gretel, conte théâtral en trois actes sur un livret d’Adelheid Wette, d’après le conte homonyme des Frères Grimm. Mise en scène : Dagmar Menzel. Décor : Korbinian Schmidt. Costumes : Victoria Behr. Lumières : Olaf Freese. Chorégraphie : Christoph Jones. Avec : Elisabeth Wrede, soprano (Hänsel) ; Samantha Gaul, soprano (Gretel) ; Joachim Goltz, baryton (Peter, le Père) ; Ulrike Helzel, mezzo-soprano (Gertrud, la Mère) ; Daniel Kirch, ténor (la Sorcière) ; Julia Schaffenrath, soprano (le Marchand de sable / le Marchand de rosée) ; Manni Laudenbach, rôle muet (Comédien). ; Wilma Hermine Rummel, rôle muet (L’Enfant céleste). Choeur d’enfants (chef de choeur : Dagmar Fiebach) et Orchestre du Komische Oper, direction musicale : Yi-Chen Lin

Mots-clefs de cet article

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Reproduire cet article : Vous avez aimé cet article ? N’hésitez pas à le faire savoir sur votre site, votre blog, etc. ! Le site de ResMusica est protégé par la propriété intellectuelle, mais vous pouvez reproduire de courtes citations de cet article, à condition de faire un lien vers cette page. Pour toute demande de reproduction du texte, écrivez-nous en citant la source que vous voulez reproduire ainsi que le site sur lequel il sera éventuellement autorisé à être reproduit.