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Natalie Dessay à Strasbourg : des adieux en trompe-l’œil

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Strasbourg, Eglise Saint-Guillaume, 24-IV-2025. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : cavatine de Barberine « L’ho perduta », air de Susanne « Guinse alfin il momento », cavatine de la Comtesse « Porgi amor ». Ernest Chausson (1855-1899): Le colibri. Reynaldo Hahn (1874-1947): Le rossignol des lilas. Maurice Ravel (1875-1937): Trois beaux oiseaux du paradis, Oiseaux tristes (piano seul). Louis Beydts (1895-1953): La colombe poignardée. Francis Poulenc : Reine des mouettes, La dame de Monte-Carlo. Samuel Barber (1910-1981): Le cygne, Knoxville : Summer of 1915. Gian-Carlo Menotti (1911-2007): air extrait de The old maid and the thief “Steal me, sweet thief”, la valse de Monica extraite du Medium. André Previn (1929-2019): air extrait de A streetcar named desire « I want magic ». Natalie Dessay, soprano et Philippe Cassard, piano.

Il y a des concerts d'adieu plus définitifs que celui-ci, puisque continuera à chanter la comédie musicale (déjà Gypsy à Nancy et Paris, bientôt Sweeney Todd à Strasbourg) et aussi la chanson française (Nougaro à Ramatuelle en juillet). Mais là, à 60 ans bien assumés et fêtés sur France Musique, elle a décidé d'arrêter opéra, lieder et mélodies.

C'est dans l'église Saint-Guillaume de Strasbourg, où déjà Roberto Alagna avait chanté en septembre 2024, que et offrent leur concert au cours de leur « tournée d'Adieu à la scène classique ». Le programme, rempli de divers volatiles et d'airs d'opéras américains (comme dans son dernier CD « Oiseaux de passage« ) se veut comme une transition entre sa carrière d'opéra où elle a fait le rossignol lyrique, et les musicals américains auxquels elle entend se consacrer désormais.

Le premier oiseau, un Cygne de Barber, fait montre d'un phrasé coulant particulièrement majestueux. Charmant, bien sûr, le Rossignol des lilas de Hahn, piquante la Reine des Mouettes et dramatique, la Colombe poignardée de Beydts. La voix de n'a rien perdu de son brillant, de son magnétisme, et ses registres sont toujours aussi bien soudés. Dans la Dame de Monte-Carlo, elle retrouve son instinct de bête de scène et transforme le monologue flamboyant et désespéré (comme elle le dit elle-même) en huis-clos intensément tragique. Quand elle se pose au bord de l'estrade devant le vide et lance l'aigu final pianissimo et infiniment long, comme un fil de vie prêt à se rompre (et qui ne se rompt pas…), elle suspend le souffle de toute l'assistance. Une image forte, qui n'est pas sans évoquer certaine Somnanbula du Met où elle avançait sur une planche au-dessus de la fosse, comme en apesanteur au dessus de la réalité.

Comédienne et chanteuse hors-pair, elle l'est encore dans les extraits d'opéras américains : A streetcar named desire, The old maid and the thief, et surtout, la Monica's Waltz dans The Medium. La soufflerie de la soprano est intacte, la phrase est magnifique, le bas-médium n'est pas poitriné et son anglais, un peu british, est excellent. La façon qu'elle a de transformer le jeu innocent de Monica en déclaration d'amour est très convaincante et réellement touchante. La longue « rhapsodie lyrique » qu'est le Knoxville : Summer of 1915 de Barber convient bien, intrinsèquement, aux nombreux talents de Natalie Dessay. Mais la réduction au piano de la trame orchestrale, malgré la virtuosité et la poésie de , ne parvient pas à exprimer pendant un si long temps la chaleur, les odeurs d'été, les non-dits et les angoisses sous-jacentes, et encore moins entre les enfeus gothiques de l'église St Guillaume.

En fait, la partie la plus éclatante et la plus significative du récital est donnée à son début, quand Natalie Dessay s'assied au piano à côté de son vieil ami, pour jouer à quatre mains l'introduction de l'air de Barberine (version Fantaisie de Schubert), avant de se relever pour chanter l'air. Le message en charmant pied-de-nez est très clair : j'ai plusieurs cordes à mon arc, et désormais, je ferai ce que j'ai envie de faire. Dont acte. Mais juste après, elle nous donne un Porgi amor d'anthologie, totalement maitrisé (Schwarkopf, Los Angeles, Della Casa se plaignaient de sa difficulté…), intensément vécu (a-t-on jamais entendu une Comtesse aussi amoureuse et aussi intimement blessée ?) et de surcroît parfaitement stylé. Du Mozart profondément humain et musicalement pur. Cela génère un sentiment de frustration, de penser quelle Comtesse prodigieuse elle pourrait être sur scène, et encore quelle Vitellia, quelle Dona Anna… !

Chère Natalie Dessay… Vous voulez faire autre chose que de l'opéra, du lied ou de la mélodie française ? Hé bien soit, faites-vous plaisir. Quoique vous fassiez, vous serez géniale. Mais sur cette « scène classique » que vous semblez vouloir quitter, vous êtes loin d'avoir tout dit.

Crédit photographique © Francesco PROCOPIO

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Strasbourg, Eglise Saint-Guillaume, 24-IV-2025. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : cavatine de Barberine « L’ho perduta », air de Susanne « Guinse alfin il momento », cavatine de la Comtesse « Porgi amor ». Ernest Chausson (1855-1899): Le colibri. Reynaldo Hahn (1874-1947): Le rossignol des lilas. Maurice Ravel (1875-1937): Trois beaux oiseaux du paradis, Oiseaux tristes (piano seul). Louis Beydts (1895-1953): La colombe poignardée. Francis Poulenc : Reine des mouettes, La dame de Monte-Carlo. Samuel Barber (1910-1981): Le cygne, Knoxville : Summer of 1915. Gian-Carlo Menotti (1911-2007): air extrait de The old maid and the thief “Steal me, sweet thief”, la valse de Monica extraite du Medium. André Previn (1929-2019): air extrait de A streetcar named desire « I want magic ». Natalie Dessay, soprano et Philippe Cassard, piano.

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