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Cachez ce son que je ne saurais voir… cela fait venir de coupables pensées

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Cette citation légèrement paraphrasée vient du Tartuffe de Molière. Faut-il l’appliquer à la critique musicale ? Y aurait-il tartufferie en la demeure, c’est à dire plus clairement imposture ? Qui est le coupable ? et où est l’hypocrisie ?

Car il est un domaine qui ne veut pas voir ce que d’autres trouvent plaisir à entendre, alors le domaine en question laisse le sujet de côté, caché, comme s’il n’existait pas. Est-ce la honte ou quelque autre sentiment gênant qui le motive ? Et pourtant.

Regardons ce qui nous est caché. A Montpellier, Lyon, Toulouse, Bordeaux, Clermont-Ferrand, Strasbourg, Lille, Rennes, Nantes-Angers, Dijon, Cannes, Mulhouse, Paris, pour une même saison (2022-2023) ont été offerts au public des concerts-spectacles autour de musiques de films : Disney, Titanic, Douglas Fairbanks, Retour vers le Futur, Casanova, Méliès, La Ruée vers l’or, Michel Legrand, Alexandre Desplat, Bruno Fontaine, Mary Poppins, Toy Story, Nosferatu, Arthur H, Buster Keaton, E.T, Tim Burton, Pokemon, Super-Mario, Ben-Hur, Metropolis, Piaf.

Et pour clore ce long énoncé, les plus classiques de ces propositions que sont un ciné-concert Amadeus et une comédie musicale : La petite boutique des horreurs.

Horreur donc, outrage à une certaine bien-pensance de ce qu’est, a été ou devrait encore être le paysage culturel des orchestres français. Car là se situe l’effrayant de la chose qui fait taire ceux qui nous rapportent les concerts et en rédigent la critique. Ce genre artistique (mix sons-images) n’est pas nouveau, et dans les grandes villes ce sont des productions spécifiques qui les affichent, constituées des forces musicales nécessaires engagées pour l’occasion dans de vastes salles comme le célèbre Rex parisien ou dans le réseau des fameuses salles en plastiques que sont les Zenith. Des lieux voulus par Jack Lang dès 1981 et édifiés à la périphérie des métropoles originellement destinés à accueillir des concerts de rock et de musiques populaires.

Populaire. Le mot est lâché. Serait-ce lui qui fait obstacle ? Parce que le populaire est maintenant entré dans le répertoire des orchestres subventionnés par l’argent public. C’est que la pression est forte et en 2025 avec des sociétés de production comme Overlook Events ou Disney-Concert. Ce nouveau genre s’invite dans le paysage musical avec Louis de Funès, James Bond, Stephen King, Tim Burton, Morricone, Maverick-Tom Cruise. Il n’y a plus de limite de genre, dès qu’il y a du son il y a matière à produire un concert, ne serait-ce que celui d’un jeu vidéo comme par exemple Dragon-Ball.

Et les orchestres nationaux (ils le sont tous devenus) ont choisi pour des raisons qui leur sont propres de céder à cette pression.

Mais chut !… il ne faut pas en parler.

C’est comme la querelle entre les anciens et les modernes (au XVIIème siècle), il y aurait une opposition entre le jugement du public et celui d’une élite ; une frontière entre le monde d’avant et celui d’aujourd’hui. Une imposture est-ce autant une posture impossible que le monde de la presse spécialisée en musique resterait campé sur l’ancien modèle ? Il lui semble impossible de relater ce qui se passe vraiment dans les salles de concert et ce que jouent nos orchestres nationaux. Bref, il faut continuer de faire comme si de rien n’était. Certes il y a encore de quoi entendre et de quoi dire. Mozart, Brahms, Beethoven sont encore à l’affiche, moins Wagner. Et les décors d’opéra ont laissé place bien souvent à des projections visuelles qui non seulement pallient la cherté des décors mais aussi envahissent les concerts symphoniques devenus ciné-concerts. Entrés par la petite porte avec Chaplin c’est tout Spielberg qui défile désormais sous nos yeux.

Est-ce un miroir embellissant ou un mensonge qu’offrent nos revues papier et journaux en ligne de musique ? Car le trop peu d’articles sur ces concerts parmi les médias spécialisés survivants n’est pas le reflet de la portion grandissante de ces nouveaux genres musicaux. Le Monde de la Musique a disparu en 2009, Répertoire en 2005,  récemment Classica, l’Avant-scène et Pianiste : ces journaux défunts n’auraient-ils pas su être le vrai reflet de l’activité musicale française ?

Ou alors est-ce un problème plus fondamental ?

Sur le même thème déjà en 2019 (la passion selon Star Wars, paru dans ces pages), un lecteur en commentaire de l’article faisait état de son parcours pluriel menant à la musique classique. L’adage : Tous les chemins mènent à Rome, s’applique aussi à la grande musique. La grande musique, expression reprise comme label d’une nouvelle chaîne de radio (1), est bien ce qui fait hiatus dans cette affaire. Ancienne dénomination pour ce qui est désigné aujourd’hui musique savante, la grande musique ou musique classique n’est plus le genre exclusif des salles de concert. Kyle Eastwood ou Alain Chamfort partagent les mêmes scènes et musiciens que Haydn ou Ravel mais personne ne le dit. Le monde change sauf la presse musicale. La grande musique doit rester singulière et ne peut se confondre avec celle pourtant bien présente aujourd’hui, venue du divertissement sur grand écran, du show-business et des consoles de jeux.

Quelles sont les coupables pensées qui animent les rapporteurs et critiques des concerts et les conduisent à rester silencieux ? Ont-ils peur de s’abaisser à commenter le prochain concert Hans Zimmer ou Marvel ? Sont-ils en manque de ressources pour juger des concerts comme Les Choristes ou Le Grand Bleu à venir ? L’Homme-orchestre ou Jo avec De Funès seraient-ils dépourvus de bonne musique ?

Quand Stanley Kubrick côtoie Beethoven, quand le Sacre du printemps se fait 4.0 ou quand Nosferatu s’invite sur scène, les repères semblent perdus. Mais surtout l’auditeur cultivé se souvient peut-être de ce qu’écrivait en 1961 Hannah Arendt (2) dans La crise de la culture critiquant « une société de masse » quand elle se saisit des objets culturels. Ainsi Stravinsky et Holst deviennent Star-Wars, Brahms devient Baby Alone, Prokoviev devient Sting etc… Arendt dénonçait le fait qu’en « modifiant les objets culturels l’on pouvait persuader les masses que Hamlet est aussi divertissant que My fair Lady ». De nos jours le terme serait « mode dégradé ». Façon de définir une pratique simplifiée ou partielle de faire quand ce qui est complexe ou entier devient impossible à réaliser.

En 2023 l’écrivain Benoît Duteurtre (3) dénonçait « l’…immense entreprise de crétinisation (qui) s’est abattue sur les théâtres lyriques » par le pervertissement des mises en scène sortant les œuvres de leur contexte historique La même année le comédien Michel Fau (4) dénonçait dans Le Figaro La Nuit le fait « qu’on a voulu rabaisser l’art alors qu’il fallait élever les gens ».

Est-ce par élitisme ou pour idéologie que la presse musicale renonce à faire part à ses lecteurs de l’entièreté et de la diversité des programmations des orchestres français ?

Cela nous pousse à poser cette question ultime : la culture en mode dégradé est-elle dégradante ?

 

Références :

1 lagrandemusique.fr

2 https://chmcc.hypotheses.org/9072

3 Marianne, Carte Blanche du 22/10/2023

3 https://video.lefigaro.fr/figaro/video/les-gens-ne-connaissent-plus-rien-denonce-le-comedien-michel-fau/

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles de la rédaction.

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