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Mikko Franck et le Philhar dans la Dixième de Chostakovitch : noir, c’est noir !

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Paris. Philharmonie. Grande Salle Pierre Boulez. 25-IV-2025. Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893) : Concerto pour piano et orchestre n° 1 en si bémol mineur op. 23 ; Dimitri Chostakovitch (1906-1975) : Symphonie n° 10 en mi mineur op. 93. Béatrice Rana, piano. Orchestre Philharmonique de radio-France, direction : Mikko Franck.

Pour un de ses derniers concerts à la tête du Philhar, propose un programme entièrement russe appariant dans un saisissant contraste le riant Concerto pour piano n° 1 de Tchaïkovski, avec la pianiste en soliste, et la sombre Symphonie n° 10 de Chostakovitch.

Pièce exigeante, incontournable du répertoire pianistique alliant ampleur symphonique, virtuosité, inspiration folklorique et invitation à la danse, le Concerto pour piano n° 1 de Tchaïkovski fut créé en 1875 à Boston sous les doigts de Hans von Büllow. nous en livre, aujourd'hui, une interprétation décevante qui ne parvient à éviter les pièges d'une virtuosité un peu trop démonstrative ni celui d'un pathos sirupeux et emphatique. Une lecture qui surprend par la rigidité et la dureté du toucher excessivement percussif, par ses nuances trop appuyées, par ses longs silences, comme par ses afféteries qui participent d'une interprétation sans poésie, fragmentée et maniérée, ne dégageant « in fine » aucune émotion. Après une ouverture grandiose marquée par de violents accords orchestraux, sur un tempo assez rapide, soliste et orchestre peineront à trouver un équilibre stable avant d'entamer une course aux décibels dans laquelle le piano orchestral de répond aux assauts fougueux du Philhar mené avec maestria par qui force un peu le trait dans le bruit et la fureur. On retiendra de ce premier mouvement Allegro maestoso, un beau dialogue entre soliste, petite harmonie (flute de Michel Rousseau et hautbois d'Hélène Devilleneuve) et cor d'Antoine Dreyfuss, ainsi quelle belle et délicate cadence finale dans l'aigu du clavier. L'Andante n'est guère plus convaincant, d'une platitude qui laisse heureusement une large place à l'orchestre (flute et violoncelle de Nadine Pierre) au sein d'une texture sonore d'une grande finesse agrémentée d'accords légers du piano en staccato. Ici encore on saluera en son mitan, un épisode prestissimo d'un dynamisme pianistique éclatant. L'Allegro con fuoco final est sans nul doute le meilleur moment de cette interprétation fortement roborative, portée enfin par une progression dynamique allègre, dansante, en parfaite symbiose avec la phalange parisienne. Un Etude de Debussy et une Romance sans paroles de Mendelssohn (n° 4 op. 85) données en « bis » achèvent cette première partie dans le calme enfin retrouvé.

La Symphonie n° 10 de , créée l'année de la mort de Staline, en 1953, à Leningrad par Mravinski, figure parmi les plus sombres symphonies écrites par le compositeur, sorte d'exutoire aux douloureuses années de censure et de peur imposées par la dictature stalinienne. Elle comprend quatre mouvements dont nous offre une interprétation d'une rare cohérence, très « russe » (à rapprocher de celle de Vasily Petrenko, Valery Gergiev ou Semyon Bychkov…), âpre et affligée, servie par un Philhar resplendissant de tous ses pupitres dans une sorte de vaste et émouvant lamento sur un tempo très lent. Initié par les sonorités graves (cordes, clarinette, basson et contrebasson) le Moderato initial installe d'emblée un climat d'affliction qui va progressivement se densifier avec l'entrée des vents (stridences de la petite harmonie, meuglements déchirantes des cuivres) renforcés par des cordes enivrantes et des percussions véhémentes pour aboutir à un violent crescendo emportant tout sur son passage, qui ne laissera subsister qu'un paysage orchestral ruiné, désertique, entretenu par les altos, parcouru par la répétions lancinante du thème principal, alternant avec quelques saillies agoniques des bois et des cordes vénéneuses, conclu par la sinistre cantilène solitaire du piccolo…Dans la même veine l'Allegro se développe selon une marche inexorable et suffocante, aux accents motoristes, tendue, scandée par des cordes virevoltantes, des bois acides et des percussions tonitruantes où l'on admire tout particulièrement la dynamique sans faille et la mise en place au cordeau. Introduit par les cordes, renforcé par la petite harmonie, l'Allegretto met en avant la longue cantilène du cor d'Alexandre Dreyfuss, les pizzicati des cordes, le cor anglais, la flute et enfin le tutti dans la répétition hypnotique et les variations autour de la signature harmonique du compositeur DSCH (ré, mi bémol, do si) qui revient comme un leit motiv, combiné à la signature de Elmira Nazirova, comme le stigmate d'un ancien amour. Le Final, nocturne et pastoral (hautbois, flute et basson) retrouve dans un climat épuré la déploration du premier mouvement avec de longs solos nostalgiques, avant que ne soit clamée une dernière fois par les trompettes la signature du compositeur, marquant le début de la bacchanale populaire concluant cette superbe interprétation sur une joie bien ambiguë…

Crédit photographique : © Christophe Abramowitz

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Paris. Philharmonie. Grande Salle Pierre Boulez. 25-IV-2025. Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893) : Concerto pour piano et orchestre n° 1 en si bémol mineur op. 23 ; Dimitri Chostakovitch (1906-1975) : Symphonie n° 10 en mi mineur op. 93. Béatrice Rana, piano. Orchestre Philharmonique de radio-France, direction : Mikko Franck.

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