Simone Young aux Festtage du Staatsoper Berlin, un hommage à Pierre Boulez
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Berlin. Philharmonie. 19-IV-2025. Alban Berg (1885-1935) : Concerto pour violon À la mémoire d’un ange ; Pierre Boulez (1925-2016) : Notations I-V et VII ; Gustav Mahler (1860-1911) : Symphonie n° 4. Anne-Sophie Mutter, violon ; Jeanine De Bique, soprano. Staatskapelle Berlin, direction : Simone Young
Daniel Barenboim n'est plus là pour diriger son orchestre de la Staatskapelle, mais Simone Young reprend le flambeau avec plus de bonheur chez Mahler que chez Berg et Boulez.
Créés en 1996 pour célébrer chaque année la gloire de Daniel Barenboim, directeur musical depuis 1992, les Festtage du Staatsoper unter den Linden doivent nécessairement se réinventer depuis le départ de leur raison d'être. Le nouveau directeur musical Christian Thielemann ayant d'autres engagements antérieurs à sa nomination, l'année 2025 est une année de transition : le programme de ce soir, en forme d'hommage à Pierre Boulez, est taillé sur mesure pour Barenboim, mais c'est Simone Young qui dirige la Staatskapelle, sans que le remplissage de la salle ou l'accueil du public s'en ressente. Boulez n'est en effet pas seulement le compositeur de l'une des trois œuvres au programme, il a aussi été un compagnon de la Staatskapelle, et le public français se souvient peut-être de l'avoir entendu les diriger dans la Quatrième Symphonie de Mahler à la salle Pleyel en 2008.
Simone Young, qu'on est plus habitué à voir en fosse que sur la scène symphonique, est à vrai dire nettement plus à l'aise dans cette dernière œuvre que dans la première partie de ce long concert. C'est le concerto de Berg qui ouvre la soirée, avec rien moins qu'Anne-Sophie Mutter en soliste. Cette dernière déploie toujours sa plénitude sonore et avance vaillamment tout au long de sa partition, mais on peine à en tirer le profit espéré du fait d'une partie orchestrale privée de perspective d'ensemble et de rigueur dans l'expression. Beaucoup de moments pris individuellement ont une grande beauté sonore, mais d'autres sont d'une banalité un peu prosaïque, et surtout on peine à voir une conception d'ensemble – l'absence de mystère des toutes premières mesures en est un signe avant-coureur. Qui plus est, Simone Young donne souvent un poids excessif aux vents qui écrasent toute perspective sonore, à tel point que la partie soliste peine souvent à s'imposer.
Les Notations, jouées dans leur ordre habituel (I-III-IV-VII-II), sont victimes de la même surcharge sonore : on y perd non seulement en transparence des textures, mais aussi en précision de l'articulation. L'élan vital irrésistible de ces partitions s'en trouve écrasé sous les effets de masse : cela contribue peut-être à justifier l'ovation finale ; on ne peut que se réjouir de voir l'œuvre de Boulez joué ici mais on entend ce soir une version profondément déformée de l'œuvre.
Fort heureusement, la Symphonie n°4 de Mahler qui termine le concert ne souffre pas des mêmes défauts. Seul le deuxième mouvement, étrangement, se trouve écrasé sous les cuivres ; pour le reste, fort heureusement, la cheffe parvient à trouver dans cette œuvre bien connue une respiration plus naturelle et se montre attentive aussi bien à la construction d'ensemble qu'à la mise en valeur des détails.
Son interprétation, à rebours de celle de grands chefs récents comme Abbado ou Haitink, est tout sauf apollinienne : on y entend au contraire la manière dont Mahler reçoit jusqu'au cœur de l'écriture toutes les dimensions de l'expérience humaine, jusqu'à la vulgarité du monde, de la gravité jusqu'à la légèreté de la danse. On est très loin de l'interprétation terrienne très étonnante qu'en avait donné Boulez lors du concert déjà cité, mais on retrouve en tout cas toutes les qualités de l'orchestre modelé par Barenboim, remarquablement ductile et attentif au travail de Young, notamment à son souci constant de varier les textures sonores en tirant le meilleur profit de l'orchestration mahlérienne.
La soliste pour le dernier mouvement est Jeanine De Bique : sa tâche n'est pas facile face aux sonorités orchestrales généreuses obtenues par Simone Young, et sa voix n'est pas de celles qui peuvent s'imposer en force. Elle n'est pas une grande habituée du répertoire du Lied, et cela se sent dans un certain froideur expressive – l'humour de ce paradis décrit comme un pays de cocagne se trouve perdu dans une interprétation au premier degré.
Crédits photographiques : © Stephan Rabold
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Berlin. Philharmonie. 19-IV-2025. Alban Berg (1885-1935) : Concerto pour violon À la mémoire d’un ange ; Pierre Boulez (1925-2016) : Notations I-V et VII ; Gustav Mahler (1860-1911) : Symphonie n° 4. Anne-Sophie Mutter, violon ; Jeanine De Bique, soprano. Staatskapelle Berlin, direction : Simone Young