Madama Butterfly de haute intensité pour les adieux du Philharmonique de Berlin à Baden-Baden
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Baden-Baden. Festspielhaus. 20-IV-2025. Giacomo Puccini (1858-1924) : Madama Butterfly, tragédie japonaise en trois actes sur un livret de Giuseppe Giacosa et Luigi Illica, d’après la pièce homonyme de David Belasco. Mise en scène : Davide Livermore. Décors : Giò Forma. Costumes : Mariana Fracasso Lumières : Fiammetta Baldiserri. Vidéo :D-Wok. Avec : Eleonora Buratto, Cio-Cio-San dite Madama Butterfly ; Jonathan Tetelman, Benjamin Franklin Pinkerton ; Teresa Iervolino, Suzuki ; Tassis Christoyannis, Sharpless ; Didier Pieri, Goro ; Lilia Istratii, Kate Pinkerton ; Aksel Daveyan, le Prince Yamadori ; Giorgi Chelidze, l’Oncle bonze ; Jasurbek Khaydarov, le Commissaire impérial ; Ondřei Vašata, l’Officier d’état-civil ; Natalie Jurk, la mère de Cio-Cio-San ; Eunsoo Lee, la Tante ; Lilia Istratii, la Cousine ; Benjamin Šuran, l’Oncle Yakusidé ; Anton Forcher, le fils de Cio-Cio-San adulte ; Felix Chang, le fils de Cio-Cio-San enfant ; Ayaka Kamei, Suzuki âgée. Chœur Philharmonique Tchèque de Brünn (Chef de chœur : Petr Fiala), Berliner Philharmoniker, direction : Kirill Petrenko.
Au Festspielhaus de Baden-Baden, pour la dernière année de présence du Philharmonique de Berlin et de Kirill Petrenko, mise en scène, voix et surtout direction orchestrale se conjuguent pour Madama Butterfly.
Depuis 2013, l'Orchestre philharmonique de Berlin et ses deux chefs successifs (Simon Rattle puis Kirill Petrenko) prenait ses quartiers de printemps au Festival de Pâques de Baden-Baden avec un florilège de concerts orchestraux, de musique de chambre et un opéra en version scénique. Inaugurée avec La Flûte enchantée de Mozart, cette fructueuse collaboration prend hélas fin cette année, l'orchestre retournant dès Pâques 2026 à Salzbourg. Pour cette dernière apparition, la fête se devait d'être complète et l'opéra retenu, l'inattendue Madama Butterfly de Puccini, plutôt éloigné de la zone de confort germanique de l'orchestre, ou russe de Kirill Petrenko, devait marquer les esprits.
Pour la mise en scène, c'est une valeur sûre et consensuelle qui a été retenue en la personne de Davide Livermore, pour la première fois dans les lieux. Il a choisi de raconter la tragédie de Cio-Cio-San, déplacée d'un demi-siècle des années 1900 à l'immédiate après-guerre et la défaite du Japon alors sous occupation américaine, à travers les yeux de son fils élevé aux États-Unis par son père Pinkerton et sa mère adoptive Kate. Devenu adulte, il revient en recherche de ses racines dans un Japon en plein boom économique et retrouve la vieille Suzuki. Deux danseurs de butō les incarnent et renforcent l'intensité du drame par leurs attitudes, leur intériorité parfois proche de la prostration, ou en doublant les gestes des chanteurs. Les dessins à l'encre de Chine de l'enfant, seules traces de son passé qu'il ait conservées, servent de support aux magnifiques animations vidéo de D-Wok. Projetées en fond de décor elles apportent à la fois couleur locale (cerisiers en fleurs, soleil rouge et paysages de montagnes en tête), esthétisme et spectaculaire tout comme les costumes traditionnels de Marian Fracasso et le décor de Giò Forma qui réussit la gageure de rétrécir l'immense ouverture de scène du Festspielhaus pour y insérer l'espace intime d'une maison aux cloisons de papier.
Séduisante pour l'œil, stimulante pour l'esprit et impressionnante par sa scénographie, la mise en scène est riche par ses choix et ses images marquantes. L'entrée de Cio-Cio-San avec l'avancée progressive du décor depuis le fond du plateau, le drapeau américain qui s'impose à elle en tombant des cintres avant sa nuit d'amour, qui prendra l'eau au sens propre et se détériorera dans les vidéos et dont elle sera recouverte pour mourir, l'accouplement de Pinkerton avec un double masqué tandis qu'elle reste figée dans la pureté de son amour à l'avant-scène, la scène finale où elle se débat en ombres chinoises sous les superbes lumières de Fiammetta Baldiserri, tout fait sens. Lisible, claire dans sa narration et impeccablement restituée par tous les intervenants, cette mise en scène est une vraie réussite. On regrettera seulement la coupure de la liaison entre les deux derniers actes, après le chœur à bouche fermée, par un inutile précipité.
Pour la distribution, Baden-Baden a réuni des valeurs éprouvées. Eleonora Buratto est ainsi une Madama Butterfly formidable par l'intensité de son engagement, par le tranchant de ses aigus qu'elle sait aussi filer en situation, par la sécurité que lui apporte sa largeur vocale à l'homogénéité impeccable. Le timbre n'est pas foncièrement suave (on songe parfois à Renata Scotto) mais la conduite vocale toujours à but dramatique est digne des plus grandes. Jonathan Tetelman en Pinkerton a moins à faire mais le fait bien (CD Puccini, Clef ResMusica). En accord avec le metteur en scène, il n'essaie pas de se rendre sympathique mais use de son physique, de son timbre ensoleillé et de son aigu fringant et généreusement prolongé pour se rendre suffisamment séduisant. Tassis Christoyannis est un parfait Sharpless au chant soigné, sonore, impliqué et d'une prégnante humanité. Teresa Iervolino marque moins avec sa Suzuki discrète et aux registres légèrement disjoints ; son timbre mordoré se marie cependant magnifiquement à celui de Teresa Iervolino pour un « duo des fleurs » de pure beauté. Didier Pieri campe un Goro très bien chanté et sans excès d'obséquiosité tandis qu'Aksel Daveyan apporte autorité et stature au Prince Yamadori et que Giorgi Chelidze tonne à souhait en oncle bonze furieux.
Et quid de l'orchestre, la véritable star de la soirée ? Sans revenir en détail sur ses qualités instrumentales bien connues, soulignons son homogénéité jamais prise en défaut, le fondu des cordes, l'alacrité des bois, la puissance et la sécurité des vents et cette pulsation profonde et funèbre des timbales au diapason du cœur déchiré de Cio-Cio-San. Très tonique dans son geste et son tempo, s'appuyant sur l'assise rythmique ronde et bien marquée des basses, en constante intelligence avec son plateau, Kirill Petrenko insuffle à toute la soirée une énergie et un dramatisme étourdissants. Il joue des contrastes de texture, de saveur instrumentale et surtout de dynamique (comme l'explosion cataclysmique qui suit le « M'ha scoradata ! » de Butterfly à Sharpless et l'entrée de son enfant), n'hésite pas à noyer les voix si nécessaire dans ce déferlement orchestral et soigne tout particulièrement les intermèdes.
A l'issue de ce spectacle riche en beauté et en émotions, les ovations les plus fortes par un public debout vont à l'Orchestre philharmonique de Berlin et son chef Kirill Petrenko, juste remerciement pour treize ans de présence et tant de brillantes soirées.
Crédits photographiques : © Monika Rittershaus
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Baden-Baden. Festspielhaus. 20-IV-2025. Giacomo Puccini (1858-1924) : Madama Butterfly, tragédie japonaise en trois actes sur un livret de Giuseppe Giacosa et Luigi Illica, d’après la pièce homonyme de David Belasco. Mise en scène : Davide Livermore. Décors : Giò Forma. Costumes : Mariana Fracasso Lumières : Fiammetta Baldiserri. Vidéo :D-Wok. Avec : Eleonora Buratto, Cio-Cio-San dite Madama Butterfly ; Jonathan Tetelman, Benjamin Franklin Pinkerton ; Teresa Iervolino, Suzuki ; Tassis Christoyannis, Sharpless ; Didier Pieri, Goro ; Lilia Istratii, Kate Pinkerton ; Aksel Daveyan, le Prince Yamadori ; Giorgi Chelidze, l’Oncle bonze ; Jasurbek Khaydarov, le Commissaire impérial ; Ondřei Vašata, l’Officier d’état-civil ; Natalie Jurk, la mère de Cio-Cio-San ; Eunsoo Lee, la Tante ; Lilia Istratii, la Cousine ; Benjamin Šuran, l’Oncle Yakusidé ; Anton Forcher, le fils de Cio-Cio-San adulte ; Felix Chang, le fils de Cio-Cio-San enfant ; Ayaka Kamei, Suzuki âgée. Chœur Philharmonique Tchèque de Brünn (Chef de chœur : Petr Fiala), Berliner Philharmoniker, direction : Kirill Petrenko.
Quel formidable travail à tous les niveaux ! C’est tellement rare d’avoir un spectacle de cette qualité.
Orchestre (dommage qu’il retourne à Salzbourg l’an prochain), mise en scène (originale et percutante tout en restant dans l’esprit de l’oeuvre), chanteurs, public calme et à l’écoute : tout y était.
Une version de concert en est donnée le dimanche 27 avril à Berlin, que l’on peut suivre sur le Digital Concert Hall.
La surcharge visuelle luxueuse m’a semblée en contradiction avec ce drame sordide. C’est la première fois que je ressort d’une représentation de Mme Butterfly complètement indifférente et sans émotions. Un grand bazard technologique a tué Cio-cio san…
Musicalement: poésie sonore glacée et beaucoup d’excès de son. Verisme de luxe…?