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Élan et ferveur au festival Musique sacrée Perpignan

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Perpignan. Festival Musique sacrée. 15-17-IV-2025.
15-IV : Théâtre de l’Archipel : La Grande Audition de Leipzig : Georg Philipp Telemann (1681-1767) : Cantate Wer sich rächet, TWV 1 : 1600 : Johann Kuhnau (1660-1722) : Cantate Lobe den Herrn meine Seele ; Johann Sebastian Bach (1685-1750) : cantates Du wahrer Gott und Davids Sohn, BWV 23 ; Jesus nahm zu sich die Zwölfe BWV 22 ; Christoph Graupner (1683-1760) : cantate Aus der Tiefen rufen wir, GWV 1113/23a ; Miriam Allan, soprano ; Paul-Antoine Bénos-Djian, contre-ténor ; Cyril Auvity, ténor ; Edward Grint, basse. Chœur et orchestre des Arts Florissants, direction : Paul Agnew

17-IV : 18h30 ; Église des Dominicains. Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Quatuor à cordes n°11 ; Claude Debussy (1862-1918) : Quatuor à cordes op.10 en sol mineur ; Bernat Vivancos (né en 1959): Sacrilège, pour quatuor à cordes. Quatuor Vivancos

17-IV : 21h ; Église des Dominicains ; Philippe Da Monte (1521-1603) : Super flumina Babylonis ; William Byrd (1540-1623) : Messe à 4 voix ; Gregorio Allegri (1582-1652) : Miserere ; Thomas Tallis (1505-1585) : Lamentations I et II ; Sir James MacMillan (né en 1959) : Jesum tradidit impius ; Miserere. Chœur Tenebrae ; direction Nigel Short.

L'image de la source, en tant que jaillissement/surgissement, traversait cette 39ᵉ édition de Musique sacrée de Perpignan, une manifestation menée par sa directrice Elisabeth Dooms et avançant les valeurs essentielles d'émotion et de transmission.

Florilège de cantates

Au théâtre de l'Archipel, dans la grande salle du Grenat archi comble, les Arts Florissants sous la direction de leur chef chantent Bach et ses contemporains dans un programme de cantates passionnant qui tourne autour de « La Grande Audition de Leipzig » : celle de 1723, mettant en lice trois candidats au poste de Cantor de Saint-Thomas. Le premier appelé est , qui décline l'invitation tout comme qui préfère quant à lui se tourner vers Hambourg ; reste J.S. Bach, par défaut… Il vient de Cöthen, province calviniste où il n'a pu s'illustrer que dans la musique instrumentale ! C'est ce que nous raconte, avec un certain talent et beaucoup d'humour, , attisant notre curiosité avant le début du concert.

Huit chanteurs (deux par pupitre) et neuf instrumentistes, dont l'orgue positif de Marie van Rhijn, sont distribués de part et d'autre du chef. De Telemann d'abord, la cantate Wer sich rächet, TWV 1 (« Celui qui se venge ») met en vedette la basse Edward Grint, plus à l'aise dans ses deux arie que dans les récitatifs où l'intonation fluctue. Si le chœur d'entrée, pris à vive allure, est un rien brouillon, on apprécie la qualité des voix dans le choral final. Écrite pour deux voix solistes, sans le chœur, la cantate Lobe den Herrn meine Seele (Mon âme, bénis l'Éternel) de (auquel Bach succède à Leipzig) débute par une sonata où le violon de Tami Troman, un peu frêle dans l'acoustique sèche du Grenat, dialogue avec le hautbois de Jon Olaberria. Les airs y sont plus ornementaux et l'écriture virtuose dont s'acquitte parfaitement le contre-ténor Nicolas Kuntzelmann. Les duos avec la basse continue (orgue, violoncelle et basson) sont délicatement ciselés comme cet Alleluia final qui met au défi les deux chanteurs.

De conception plus originale, la cantate Aus der Tiefen rufen wir (Des profondeurs je crie vers toi) de Christoph Graupner (celle de l'audition de 1723) est une belle découverte. Elle fait appel au texte plus dramatique extrait de la messe des morts et met l'écriture chorale, le plus souvent homorythmique, au centre de l'œuvre. Alternent des récitatifs accompagnés (le hautbois toujours en vedette) du ténor , de la soprano et de la basse, qui commentent et donnent du relief à la scène.

Dans les deux cantates du futur Cantor (BWV 22 et 23) domine l'air concertant avec ritournelle, un thème instrumental conducteur (deux hautbois pour la cantate BWV 23) sur lequel vont s'appuyer la ou les voix solistes ; le dessin mélodique y est incomparable tout comme la richesse polyphonique de l'écriture. Celle du chœur « Tous les yeux t'attendent » qui met en dialogue le tutti avec les deux solistes, ténor et basse en canon, déclenche les applaudissements avant le choral final, un agnus dei de la plus belle facture.

La deuxième cantate Jesus nahm zu sich die Zwölfe (Jésus pris avec lui les Douze) débute comme une passion, avec le dialogue de l'évangéliste () et de Jésus (Edward Grint) et une sorte de chœur de turba qui commente. Les airs sont somptueux et le choral final très en verve, que reprend en bis et en accéléré !

La seconde soirée, en deux temps, invite un public toujours très nombreux à l'église des Dominicains, un espace bien sonnant pour les cordes comme pour le chœur dont il en magnifie les voix.

En partenariat avec le festival Pablo Casals

Le concert de 18h30 est en accès libre. C'est le , jeune phalange barcelonaise sélectionnée par le festival Pablo Casals pour sa tournée de printemps, qui est sur le plateau à la faveur du partenariat instauré entre le festival de Prades et Musique sacrée de Perpignan.

Le programme sans entracte est exigeant, qui affiche trois pièces dont une création mondiale. Les Vivancos débutent par le fougueux Quatuor à cordes n°11 de Beethoven op.95 en fa mineur qui annonce la série des derniers quatuors du maître de Bonn à travers les aléas d'une trajectoire qui outrepasse le modèle classique. Le premier mouvement donne le ton, nourri de contrastes dans l'interprétation pleine de vitalité des interprètes. Le second mouvement fugué est joué dans la sérénité, bien conduit avant les accès furioso de l'Allegro assai vivace ma serioso, un dernier terme qui a donné son nom au quatuor. Beethoven fait l'économie du mouvement lent (7 mesures seulement de Larghetto!) avant l'Allegro agitato et un finale enlevé, presque trop vite sous les archets moins contrôlés des Vivancos.

Le choix du Quatuor de Debussy est ambitieux dans lequel s'engagent nos quatre jeunes interprètes avec beaucoup d'élan et une belle maîtrise de la grande forme. Au premier mouvement qui doit filer droit, on préfère le deuxième, pétillant et facétieux où s'instaure une synergie commune. Doux et caressant, le mouvement lent est trop lent à notre goût, freinant des quatre fers là où la musique doit avancer. Le finale n'en est que plus énergétique, synthèse ménageant de belles envolées lyriques qui nous mènent sans faillir à l'apothéose finale.

Les Vivancos ont repris le non de leur professeur, le compositeur catalan qu'ils ont mis à leur programme. Sacrilège, donnée en création, est une courte pièce (3′) qui s'inscrit dans un cycle de plus grande envergure, nous explique le compositeur : musique de gestes, très théâtrale et virtuose, qui articule différents modes de jeu (sons toupies, mouvement tourbillonnant, glissades, etc.) avec « taconeos » (frappe du pied des instrumentistes) : spectaculaire et vivifiant!

Moment de grâce dans la nef des Dominicains

Reconnu comme l'un des meilleurs ensembles vocaux au monde, le chœur britannique (14 chanteurs) et son chef (ancien membre du prestigieux King's Singers) investissent pour la première fois la scène perpignanaise, donnant un concert d'anthologie qui mêle musiques italienne et anglaise de la Renaissance.

Philippe Da Monte (1521-1603) est d'origine flamande, qui est venu, comme nombre de ses contemporains, en Italie où il a fait toute sa carrière. Son motet Super flumina Babylonis qui débute le concert relève de « l'ars perfecta », équilibre et transparence de la polyphonie que les chanteurs restituent avec bonheur. On est d'emblée envouté par la beauté du timbre, la pureté de l'intonation et l'homogénéité des pupitres qui contribue à la fluidité du discours sous le geste économe de . Plus intimiste mais non moins émouvante, la Messe à 4 voix de (1540-1623) met en valeur la profondeur des basses et les lignes expressives du contrepoint, avec les répétitions du texte liturgique contribuant au mouvement circulaire des voix en fin de partie.

Le chœur se divise et se spatialise pour l'exécution du célébrissime Miserere de mettant en valeur les aigus stratosphériques de la soprano solo. L'Italien l'écrit vers 1638 pour le chœur de la Chapelle Sixtine. La voix de ténor bien projetée, avant la réponse du chœur est juste parfaite et la ligne soliste lumineuse et d'une grande flexibilité. veille à l'équilibre des deux chœurs et à la fluidité d'une polyphonie qui se déploie merveilleusement dans l'acoustique porteuse de l'église.

La musique de l'Anglais (Lamentations I et II) alterne avec les deux pièces (dont un Miserere) de l'Écossais dans une seconde partie tout aussi étonnante. L'écriture de Tallis est à cinq parties, mettant en valeur chaque pupitre à travers les voix qui s'imitent : musique d'une grande profondeur inscrite dans un temps étiré et une conduite litanique qui nous berce.

Les deux pièces de MacMillan sont une découverte, chantées en latin également, dont les profils ornementaux semblent regarder vers le Moyen-Orient. Le motet Jesum tradidit impius débute par la friction des deux sopranos, sorte d'appel auquel répondent les infra-graves des basses superbes. MacMillan creuse la dramaturgie du texte, donnant à entendre les voix aiguës au-dessus d'un chœur qui murmure. La pièce se termine avec la seule voix de soprano qui s'éloigne du chœur pour se perdre in fine dans les coulisses. Son Miserere (« Aie pitié de moi », issu du Psaume 50) traite les pupitres en duos, jouant sur l'opposition des registres et la variation des dynamiques, dans le respect toujours de la langue latine : ferveur et richesse harmonique du chœur qui finit par déployer un large spectre coloré.

Les voix de gardent une égale aisance, une souplesse de la ligne qui ne laisse percevoir aucune tension. L'émission est claire, la projection dynamique et l'écoute mutuelle au cœur de leur interprétation. Le beau programme de la soirée restera sans bis, au grand dam d'un public très enthousiaste qui en redemandait…

Rendez-vous pris pour avril 2026, année anniversaire qui fêtera les 40 ans du festival!

Crédit photographique : © Michel Aguilar /Musique sacrée Perpignan

 

 

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Perpignan. Festival Musique sacrée. 15-17-IV-2025.
15-IV : Théâtre de l’Archipel : La Grande Audition de Leipzig : Georg Philipp Telemann (1681-1767) : Cantate Wer sich rächet, TWV 1 : 1600 : Johann Kuhnau (1660-1722) : Cantate Lobe den Herrn meine Seele ; Johann Sebastian Bach (1685-1750) : cantates Du wahrer Gott und Davids Sohn, BWV 23 ; Jesus nahm zu sich die Zwölfe BWV 22 ; Christoph Graupner (1683-1760) : cantate Aus der Tiefen rufen wir, GWV 1113/23a ; Miriam Allan, soprano ; Paul-Antoine Bénos-Djian, contre-ténor ; Cyril Auvity, ténor ; Edward Grint, basse. Chœur et orchestre des Arts Florissants, direction : Paul Agnew

17-IV : 18h30 ; Église des Dominicains. Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Quatuor à cordes n°11 ; Claude Debussy (1862-1918) : Quatuor à cordes op.10 en sol mineur ; Bernat Vivancos (né en 1959): Sacrilège, pour quatuor à cordes. Quatuor Vivancos

17-IV : 21h ; Église des Dominicains ; Philippe Da Monte (1521-1603) : Super flumina Babylonis ; William Byrd (1540-1623) : Messe à 4 voix ; Gregorio Allegri (1582-1652) : Miserere ; Thomas Tallis (1505-1585) : Lamentations I et II ; Sir James MacMillan (né en 1959) : Jesum tradidit impius ; Miserere. Chœur Tenebrae ; direction Nigel Short.

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