Dans le vertige de la durée avec Gérard Grisey et l’Ukho Ensemble Kyiv

Fondé en 2015 par le chef Luigi Gaggero, l'Ukho Ensemble Kyiv s'est illustré dans bon nombre d'enregistrements et monographies de compositeurs d'aujourd'hui. La sortie vinyle du Vortex temporum de Gérard Grisey fait l'événement sous le label expérimental ukrainien Kyiv Dispatch.

Vortex temporum (Tourbillon de temps) de Gérard Grisey, composé entre 1993 et 1995, s'origine dans une formule d'arpèges tournoyants (hommage à Ravel et son ballet Daphnis et Cloé) répétés et métamorphosés à travers différents champs temporels correspondant aux trois mouvements de la pièce : ordinaire (1), plus ou moins dilaté (2), plus ou moins contracté (3). Quatre notes dans le médium du clavier sont accordées un quart de ton plus bas pour une meilleure intégration aux textures microtonales des autres instruments, flûte, clarinette et trio à cordes.

Dans le premier mouvement, dédié à Gérard Zinsstag, la tension est entretenue sans faillir au sein de l'ensemble et un grand soin est accordé aux textures, sans jamais rompre ce fil tendu entre l'arpège du début et sa transformation à l'œuvre. La cadence de piano désormais mythique qui clôt le premier mouvement, aussi puissante que virtuose, résonne sous les doigts de l'interprète (Dina Pysarenko) avec une souplesse du geste et une intelligence du texte qui convainquent pleinement. Des interludes bruités, pour « habiller cet espace d'attente » (dixit Grisey) s'entendent entre chaque mouvement, une manière de rester dans le continuum de la musique qu'appelle de ses vœux le compositeur.

Dédié à Salvatore Sciarrino, le deuxième mouvement, dans un temps dilaté (« temps spectral des rythmes du sommeil », précise Grisey) est bien conduit. La marche lente des accords du piano glissant de l'aigu au grave dessine la trajectoire sous les trames fragiles et instables des autres instruments. Diffracté dans l'espace instrumental, l'arpège initial tourbillonnant revient dans le troisième mouvement (dédié à Helmut Lachenmann), que le compositeur étire, filtre jusqu'aux limites de l'audible. Les couleurs s'effacent et les silences vertigineux se prolongent dans une musique liminale à laquelle les interprètes de l'Ukho Ensemble donnent un tour singulier, habités par cette œuvre complexe dont ils entretiennent l'énergie du son et détaillent toutes les subtilités de l'écriture.