Théâtralité de la musique de chambre de Marin Marais par The Scale Knitters

Les cinq musiciens des Scale Knitters nous offrent ici leur premier enregistrement, qu'ils consacrent au versant italien de Marin Marais associant le violon à la viole de gambe.

A la fin de sa vie, celui qui est le maître incontesté de la viole de gambe depuis des décennies se tourne vers une musique de chambre influencée par la sonate à l'italienne, et fait la part belle au violon dans ce recueil de « Morceaux de simphonie » publié en 1723. La virtuosité de l'écriture qui fait dialoguer le violon et la viole est une nouveauté comparable à ce que fait Couperin dans ses Concerts Royaux ou ses Apothéoses. Si le dialogue entre deux instruments de tessitures différentes est courant dans le répertoire allemand dès la fin du XVIIᵉ siècle, c'est une formation à peu près inédite en France lorsque Marais s'en empare.

The Scale Knitters : quel drôle de nom, qui évoque l'art du tricot ! Et c'est bien d'un subtil tricotage entre les trois voix de ces symphonies dont il s'agit ici. Dans sa note d'intention, la violiste Marion Martineau convoque une autre image : celle de marionnettistes qui donnent vie à leur instrument sur le théâtre de la composition musicale. La Gamme en forme de petit Opéra (le sous-titre est de Marais lui-même) est une longue promenade (plus de 40 minutes !) à travers les chemins labyrinthiques de la tonalité. Suggéré par cette idée d'opéra, l'auditeur peut imaginer, au fil des sections qui s'enchaînent, un dialogue amoureux entre deux personnages représentés par la viole et le violon. Dès la première section, notée « gay », le violon s'envole et tient la vedette. Chacun des personnages chante son texte à son tour, avant d'affronter l'autre au cours de véritables duos amoureux. La Sonate à la Marésienne qui suit est une sonate pour violon et basse continue directement issue de la sonate à l'italienne, qui se termine par une gigue où la virtuosité violonistique de Fiona-Emilie Poupard fait encore merveille. Et c'est la désormais célèbre Sonnerie de Sainte-Geneviève du Mont qui conclut le programme, pièce basée sur une basse obstinée de trois notes descendantes qui imitent la lancinante sonnerie des cloches.

Si les deux instruments solistes sont d'une remarquable éloquence, il faut aussi louer les trois continuistes (basse de viole, théorbe et clavecin) qui remplissent à merveille leur rôle de soutien, faisant du continuo un personnage à part entière sur le théâtre des affects musicaux. Le clavecin de Brice Sailly est particulièrement inventif. Comme toujours passionnant, le texte de présentation de Jérôme Lejeune nous introduit dans ce monde subtil où la musique tisse les voix entre elles grâce à la virtuosité expressive des tricoteurs de gamme. Du grand art.