Etrange couplage concertant Sibelius-Barber sous l’archet flatteur de Renaud Capuçon
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Jean Sibelius (1865-1957) : concerto pour violon et orchestre en ré mineur opus 47; Samuel Barber (1910-1981) : concerto pour violon et orchestre, opus 14. Renaud Capuçon, violon. Orchestre de la Suisse Romande, Daniel Harding, direction. 1 CD Erato. Enregistré au Victoria hall de Genève entre le 23 et le 28 novembre 2020. Notice de présentation en anglais, français et allemand. Durée :56:32
EratoRenaud Capuçon en compagnie de Daniel Harding et de l'Orchestre de la Suisse romande propose le couplage inédit de deux concerti pour violon esthétiquement assez divergents, avec des réussites interprétatives variables.
On sait Renaud Capuçon lié par un contrat d'exclusivité avec la DGG depuis la rentrée 2022. Mais assez bizarrement, apprend-on à la lecture de la notice, cette « nouveauté » a dormi dans les tiroirs de son ancien éditeur Erato durant presque un lustre ! Plus que les errances d'une publication tardive, c'est le couplage des deux œuvres retenues qui surprend encore davantage.
Peut-on imaginer concerti plus dissemblables que ceux de Sibelius et Barber : rapprocher ces deux opus antinomiques, l'un légendairement nordique, l'autre solaire et hédoniste, revient un peu à célébrer le mariage de la glace et du feu. L'un et l'autre ont déjà soit servi d'élément central à des enregistrements monographiques, soit connu des couplages plus idoines – scandinave (Lindberg, Rautavaara …) voire russe (Tchaïkovski) pour le premier, anglo-saxon (Walton) ou « américain », au sens large – (Korngold) – pour le second. Tout au plus la « coupe » des deux œuvres est similaire ; un temps initial noté allegro mais plutôt modéré, un mouvement lent très méditatif, et un final rapide et assez rupteur de ton.
Renaud Capuçon joue la carte de la saga épique au fil du premier mouvement d'un concerto de Sibelius très – voire trop – étale ; le style est assez emprunté, avec quelques velléités de portamenti presque tzigane dès les premiers traits. Certes la technique d'archet est exemplaire, mais le vibrato est parfois serré et la sonorité, assez démonstrative et opulente dans le medium, apparaît un rien étranglée dans l'extrême aigu, notamment au gré de la cadence centrale, rhapsodique à souhait, mais oblitérée par un tempo trop large : voilà du beau violon, bien entendu, mais un rien prévisible et académique. L'on se surprend plus d'une fois à davantage écouter au fil des répliques, l'Orchestre de la Suisse Romande dans un grand jour – de superbes cordes graves, une petite harmonie très piquante – placé sous la direction très creusée d'un Daniel Harding alerte et concerné. Soliste et chef se retrouvent bien plus au gré d'un magnifique adagio di molto central – sans doute le meilleur moment de cette interprétation – d'un lyrisme contenu et distillé sans une once de pathos au gré de ses épisodes rêveurs ou plus tourmentés. Au gré du final, Renaud Capuçon surprend par une certaine fébrilité dans l'enchaînement des traits virtuoses, parfois un rien approximatifs dans l'aigu, et demeure en retrait face à un orchestre à la pugnacité conquérante. Au sein d'une discographie pléthorique, cette version ne s'impose donc pas, auprès des références assez récentes signées entre autres, par Lisa Batiashvili et Sakari Oramo, d'une pertinente acuité, par Hilary Hahn et Esa-Pekka Salonen, irradiants de modernité (DGG) ou par Vilde Frang/Thomas Søndergård jouant davantage sur l'éventail de nuances et de registres expressifs, et livrant en complément les superbes humoresques du maître finlandais (Warner- ), sans aller jusqu'à évoquer les nombreuses légendaires versions historiques (Ginette Neveu/Walter Süsskind (Warner), Christian Ferras/Herbert von Karajan (DGG) ou les multiples versions signée par David Oïstrakh).
Renaud Capuçon apparaît beaucoup plus spontané et lyriquement dans son élément tout au long du beau concerto opus 14 de Samuel Barber, dont il magnifie sans aucun excès les épanchements mélodiques néo-romantiques tant au fil d'un rayonnant allegro liminaire que d'un suave andante central. On ne peut qu'admirer la confondante maîtrise des phrasés, le sens aigu du legato et à nouveau la sûreté impérieuse de l'archet. La subtile direction de Daniel Harding d'une impeccable rigueur expressive, ne sacrifie jamais à un sentimentalisme hollywoodien de façade. Soliste et chef s'entendent à merveille au gré d'un final presto in moto perpetuo, presque sardonique dans son soudain et tempétueux emportement. Cette version inspirée, mais parfois un rien distanciée, rejoint presque les références discographiques absolues de l'œuvre (la plénitude de Kyoko Takezawa avec Leonard Slatkin (Rça) ou le chant racé de Gil Shaham avec André Previn (DGG) ou le plus ludique Joshua Bell avec David Zinman (Decca).
En définitive, après un Sibelius lisse et prudent, livré dans d'assez sages tempi, le violoniste français séduit bien davantage dans ce Barber stylé et lyrique. Un disque, à demi-réussi, et à classer, à notre sens, plutôt à Barber qu'à Sibelius !
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Jean Sibelius (1865-1957) : concerto pour violon et orchestre en ré mineur opus 47; Samuel Barber (1910-1981) : concerto pour violon et orchestre, opus 14. Renaud Capuçon, violon. Orchestre de la Suisse Romande, Daniel Harding, direction. 1 CD Erato. Enregistré au Victoria hall de Genève entre le 23 et le 28 novembre 2020. Notice de présentation en anglais, français et allemand. Durée :56:32
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