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Last Work d’Ohad Naharin : entrée magistrale au répertoire du Ballet de l’Opéra de Lyon

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Lyon. Opéra. 12-IV-2025. Last work. Chorégraphe : Ohad Naharin. Musique : Grischa Lichtenbergberger. Conception sonore : Maxim Warrat. Scénographie : Zohar Shoef. Costumes : Eri Nakamura. Lumières : Avi Yona Bueno (Bambi). Maître et maîtresse du ballet de l’Opéra de Lyon : Amandine François, Marco Merenda, Raul Serrano Nunz. Ohad Naharin

Last Work, pièce majeure du chorégraphe israélien, , inventeur du « Gaga », entre enfin au répertoire du .

Une danseuse en fluide longue robe bleue court à en perdre haleine sur place, côté jardin, au bout d'un tapis déroulé, puis s'amassent peu à peu les figures nombreuses et tutélaires de danseurs affairés, en une transe Gaga, en plusieurs tableaux, noirs et blancs, mêlant les fameux trois thèmes du bébé, de la ballerine, esseulée en tutu blanc, et du bourreau, qui surgit à différents moments en chasuble noire, ou autre, en blanc aussi, des postures sado-masochisme malaisantes se muant intérieurement en image de guerre, de viol ou de réflexion profonde sur la banalité du mal et du monstre. « Gaga » seraient les premiers mots qu'auraient prononcés , le chorégraphe qui a inventé cette danse, aux multifacettes. Il crée Last Work en 2015 avec la Batsheva Dance Company en une sorte de testament d'espoir crépusculaire ; Last Work, signifiant « dernière œuvre », ou travail. Il poursuivit son œuvre dansée au-delà, tout en composant sous le pseudonyme de Maxime Warrat, affirmant que « la musique est juste un point de référence », cependant elle accompagne chaque tableau ininterrompu, avec justesse.

Last Work, traité de géométrie, d'espoir et d'empathie, en ce monde brutal, entre au répertoire du Ballet de Lyon, qui s'en empare avec ses identités multiples, en se déhanchant-tortillant, il n'y a plus de genre, et chacun s'individue en cette prouesse technique. a poursuit sa danse raisonnée, bassins remuant encore, tournant autour de leur axe, tout en improvisant une forme de retrouvaille inconsciente avec ses thèmes récurrents : ballerines en tutus blancs, corps empêchés, bébés, bourreaux.

Envoûté par la beauté de la pièce et terrifié tout autant, on craint le crépuscule, or c'est l'espoir qu'elle engendre. Il y est question d'humanité injuste en boucle. Bras et jambes, tendus vers le ciel, implorant, réconciliations, tendresse ; mais aussi guerres. Les danseurs en chasubles noires ressemblent autant à des bourreaux nazis, ou prêtres, mais ce pourrait être des derviches tourneurs en transe ; et le mouvement Gaga ne s'interrompt que pour reprendre son déhanchement.

La marathonienne en robe bleue court sur place la pièce durant. Statufiés, on entend les danseurs respirer, vivants. La simplicité des costumes noirs et blancs du flot à flux tendu de la vingtaine de danseurs, renverraient aux codes du deuil ou de la renaissance, selon les cultures ; les culottes et débardeurs blancs à la régression, et la fragilité de la nudité de dos, au moment du changement de costume sur scène, évoque un dépouillement contraint, rappelant le pire.

Last Work nous rappelle l'inutilité des mots pour empêcher la résurgence de l'horreur, la destruction de l'humain en l'humain, celle des juifs d'Europe en l'occurrence. La guerre y est omniprésente. Lorsque Jackson Haywood a l'air de se masturber face à une danseuse en culotte blanche agenouillée, il mime le fait de recharger une mitraillette, d'astiquer un fusil. Sexualité et guerre rejoignent une rive inconsciente ; en noir et blanc, en quinconce, sur un échiquier géant, ou en pyramide solidaire, les uns près des autres, danser soutient.

En blanc un mouvement de consolation maladroit s'amorce, pour s'amasser sans pouvoir l'atteindre la coureuse sur place en robe bleue, qui fuira sans issue, jusqu'au final. Quand les danseurs forment une mêlée en noir, on s'attendrait à ce que l'un d'eux dégage un ballon de rugby, que le jeu reprenne, que les souffrances cessent, cramponnés les uns et autres, soudés, sculptés : un corps de Ballet. Alors que leur visage est masqué, comme par des sacs en tissu blanc, rappelant un tableau de Chirico. Danser toujours avec la grâce et l'humilité de Jacqueline Bâby qui excelle dans tous les registres serait un gage d'espoir.

Last Work laisse les portes de l'imaginaire ouvertes. Et la marathonienne bleue en baskets n'en poursuit pas moins sa course folle, sur place, côté jardin toujours, pour un danseur. Entourés de scotch à carton de déménagement, dont on entend bien le crissement, une géométrie s'installe dans un ficelage : piégés, empaquetés, otages d'une humanité dévastée ?

La beauté avec Last Work pourrait-elle encore « sauver le monde » ?

Crédits photographiques : © Ascaf / Batsheva Dance Company

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