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Paris. Cathédrale Notre-Dame. 8-IV-2025. Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Passion selon Saint-Jean BWV 245. Avec : Julian Prégardien, Évangéliste ; Huw Montague Rendall, Jésus ; Christian Immler, Pilate ; Ying Fang ; Lucile Richardot ; Laurence Kilsby ; chœur et orchestre Pygmalion, et Maîtrise Notre-Dame de Paris (chef de chœur Henri Chalet), direction : Raphaël Pichon
À l'approche des célébrations de Pâques, l'ensemble Pygmalion, ses choristes et le chœur d'adultes de la Maîtrise Notre-Dame de Paris ont donné la Passion selon Saint-Jean de Johann Sebastian Bach dans la Cathédrale de Paris, ressuscitée de ses cendres.
Double et grande émotion ce mardi d'avant les Rameaux, en pénétrant d'abord dans la Cathédrale Notre-Dame de Paris, puis, passée une longue minute de recueillement, en entendant « O Traurigkeit, O Herzeleid ! », d'un dépouillement et d'une profondeur absolus, chanté a capella depuis le fond de la nef par Lucile Richardot, et repris par le chœur en préambule du bouleversant « Herr, unser Herrscher » ouvrant la Passion. Rencontre on ne peut plus harmonieuse ce soir-là de la musique et de l'architecture, sous le signe de la grandeur et l'humilité. L'originelle et éclatante pureté de l'édifice restauré à neuf, exempt de la moindre trace des violents dommages subis, comme des outrages du temps, plus aucune épaufrure ni salissure n'affectant les pierres, tient presque du miracle. Il aura fallu beaucoup d'humilité pour respecter à ce point son architecture. Il en est de même de l'attitude extrêmement respectueuse des musiciens et de leur chef Raphaël Pichon à l'égard de cette Passion selon Saint-Jean que Bach remania maintes fois, version ici enrichie de quelques ajouts musicaux bienvenus, comme cet air de la Cantate BWV 159 « Es ist vollbracht » chanté par le baryton-basse Huw Montague Rendall.
Le chœur d'ouverture porté par un orchestre aux sonorités ténébreuses et des voix unies dans la ferveur saisit par la densité expressive, et la force immédiate qui en émanent. Raphaël Pichon entre d'emblée dans le propos dramatique, la musique avançant par vagues sur une grave et inexorable marche. Au fil de l'ouvrage, sa direction précise n'entraîne jamais les musiciens dans des excès expressifs, ni dans une théâtralité submergeante qui nuirait à la dimension spirituelle de l'œuvre. Il trouve l'expression juste, sensible, usant de nuances très fines, offrant une lecture musicalement très aboutie et sans cesse habitée. Les instrumentistes (excellent continuo et solistes), dialoguent en parfait équilibre avec les chanteurs et les chœurs, qu'ils soutiennent à la perfection dans leurs interventions diverses. Le chœur (formé de celui de Pygmalion et celui de la Maîtrise Notre-Dame de Paris), impressionne par sa cohésion, par l'intelligibilité du texte clairement articulé, par l'engagement des chanteurs dans les différents « rôles » qu'ils incarnent au fil du drame (la populace, les soldats réclamant la crucifixion, les chrétiens exprimant leur foi dans la ferveur et la prière). Les chorals sont magnifiquement conduits, chantés avec une profondeur particulièrement émouvante.
Les solistes, tous à leur place dans leurs rôles, participent à donner à cette Passion sa bouleversante dimension humaine, tout en étant portés par un sentiment permanent d'élévation spirituelle. On retrouve, dans la distribution, des interprètes familiers et qui nous avaient déjà transportés, comme Julian Prégardien, Évangéliste insurpassable : on reste suspendu à son récit, ses inflexions sensibles, le ton toujours juste et poignant, narrant et chantant d'une voix magnifiquement timbrée.
Avec humilité et gravité, Huw Montague Rendall incarne Jésus de sa voix de baryton-basse au beau timbre très homogène, à la fois homme et fils de Dieu. Il se distingue dans ses arias, notamment « Betrachte, mein Seel… », chanté avec une belle retenue et une grande profondeur, sur la sonorité douce et sombre des instruments. Le ténor Laurence Kilsby apporte à l'ouvrage la lumière vive de son timbre et le vibrato fin de sa voix, dans des arias chantés avec grande ardeur. La basse Christian Immler incarne un Pilate d'une haute tenue qui ne laisse jamais rien paraître émotionnellement, sans froideur pour autant.
La voix au timbre pur de la soprano Ying Fang, accompagnée par un duo de traverso dans son premier aria, élève sa douce et immatérielle clarté, telle une apparition bienfaisante, au-dessus du sombre drame qui se déroule. La présence majestueuse à la fois dans le port et dans le chant de Lucile Richardot qui intervient en tant que soliste au début et à la fin de l'ouvrage et se joint au chœur le reste du temps, son engagement que l'on avait aussi salué dans la Passion selon Saint-Matthieu (dans le si émouvant « Erbarme Dich… »), font d'elle une des plus grandes interprètes de ce répertoire. Son aria « Es ist vollbracht ! » dans la seconde partie est d'une beauté bouleversante.
La grande et fervente prière du chœur final clôture cette Passion emplissant la Cathédrale de sa puissante vibration. Les pierres neuves de Notre-Dame de Paris, qui depuis 1806 abrite la Sainte Couronne d'épines, se souviendront certainement de ce moment de grâce.
Crédit photographique © Yannick Boschat
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