Angelin Preljocaj : vers la lumière avec Stockhausen

Après l'émouvant Requiem(s), dans lequel il disait adieu à ses morts, Angelin Preljocaj rend hommage à Karlheinz Stockhausen dans un double programme au Théâtre de la Ville : la reprise d'Helikopter et la création mondiale de Licht.

Sa rencontre avec Karlheinz Stockhausen aura durablement marqué Angelin Preljocaj. En témoignent les extraits du film d'Olivier Assayas de 2007 projetés en guise d'intermède entre la reprise d'Helikopter et la création de Licht. On y voit le chorégraphe aux côtés du compositeur de génie, entouré de ses consoles. Au-delà de l'admiration réciproque entre les deux artistes, il s'agit bien de comprendre comment la composition musicale et la structure chorégraphique peuvent se répondre et s'enrichir mutuellement.

« Quand j'ai entendu la musique au début, ce n'était pas possible ! » avouait Angelin Preljocaj à l'époque de sa création de Helikopter. Il faut dire que le vrombissement assourdissant des hélices, reconstitué et dupliqué avec un réalisme saisissant par le compositeur, avait de quoi dérouter. Que faire de ces boucles musicales dont la puissance inquiète et terrasse l'auditeur ? Angelin Preljocaj décide d'en faire un sextuor de trois danseuses et trois danseurs qui entrent progressivement dans le champ, dessinant des lignes à plusieurs dimensions, en longueur, en largeur et en hauteur. Cette troisième dimension est l'un des aspects les plus impressionnants de la chorégraphie, dont l'écriture est d'une précision diabolique.

Pour interroger la perception du spectateur, Angelin Preljocaj utilise un système d'interaction vidéo conçu par Holger Förterer. « Il y avait une projection sur le sol. Il y une caméra infra-rouge capable de lire les corps, mais pas l'image projetée. L'ordinateur calcule l'intrusion du danseur dans cette projection. Le danseur traverse cet espace et la projection se déforme en temps réel. Si on ne connaît pas le système, on se demande comment font les danseurs pour être si précis » raconte Angelin Preljocaj.
Résultat de cette très belle collaboration, les danseurs ne sont pas comprimés dans l'espace numérique de la projection, mais dans l'écriture du mouvement, spontané et immédiat. Les six danseurs du Ballet Preljocaj choisis pour la Première de cette reprise y excellent dans les mouvements incisifs et percutants, jambes projetées à la verticale et bras tendus à l'horizontale, tournoyant pour donner l'illusion du rotor qui impulse le mouvement.

Le film qui permet de mieux comprendre les enjeux de l'écriture tant musicale que chorégraphique est passionnant. Il faut toute l'intelligence pétillante de Karlheinz Stockhausen en dialogue avec Angelin Preljocaj pour rendre lisible la complexité de sa composition et la faire résonner avec la danse. Cet échange est un cadeau que nous fait Preljocaj, qui aurait pû être encore plus ambitieux pour cette soirée en choisissant une deuxième pièce sur la musique de Stockahausen, comme il l'avait fait en 2008 à l'Opéra de Paris avec Sonntags-Abschied. Cette fois, il choisit d'aller vers le paradis, comme l'y invite Stockhausen, en confiant la création musicale de Licht – titre qui fait allusion au cycle opératique du compositeur – à Laurent Garnier, grand nom de l'électro.

Si Preljocaj considère que celui-ci est l'héritier direct du compositeur allemand, nous en sommes moins persuadés, tant les sources d'inspiration du musicien électronique puisent dans la pop avant de proposer des formes nouvelles. Une chanson du film La Boum 2 est notamment découpée en boucles, perturbant le message apaisant du chorégraphe.
La chorégraphie, et plus encore l'interprétation par douze danseurs virtuoses, est néanmoins exceptionnelle. Créant des images de toute beauté, Preljocaj nous emmène vers une nouvelle dimension, qu'il souhaitait plus lumineuse, d'où le titre, en contraste avec l'obscurité et la noirceur d'Helikopter. En ligne de front ou bras et jambes surgissant de découpes circulaires en fond de scène, l'art de la géométrie – plus que jamais maîtrisé par Preljocaj – est source d'harmonie. La douceur et l'abandon des corps au début de la pièce cède la place à une écriture symbolique plus incisive et plus tenue, toujours remarquable.

Crédit photographiques : © Yang Wang