Cadenza n°3 de Mantovani en création sous la baguette de Kristiina Poska
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Paris. Auditorium de Radio France. 10-IV-2025. Bruno Mantovani (né en 1974) : Cadenza n°3, concerto pour quatuor à cordes et orchestre (CM) ; Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Symphonie n°5 en ut mineur, op.67. Quatuor Diotima ; Orchestre National de France, direction : Kristiina Poska
Mantovani versus Beethoven : à l'Auditorium de Radio France, la création mondiale (commande de la Maison ronde) de Cadenza n°3 du premier est mise en perspective avec la « Cinquième » du second dans un concert qui fait salle comble et invite la cheffe estonienne Kristiina Poska et le quatuor Diotima aux côtés de l'Orchestre National de France.
Si la configuration du concerto pour quatuor à cordes et orchestre n'est pas inédite dans l'histoire du genre, elle n'en est pas moins assez rare. Le projet de Bruno Mantovani dans sa Cadenza n°3 est de reprendre dans son intégralité stricte son Quatuor à cordes n°7 écrit quelques mois avant le concerto et d'en imaginer une extension orchestrale ; en cherchant, comme il aime à le faire dans ses concertos, les interférences sensibles entre les sonorités du/des solistes et celles de l'orchestre.
Frénésie du mouvement
Un courant passe, frénétique et électrisant, entre les solistes – les Diotima à fond – comme dans les rangs de l'orchestre au cours decette pièce d'une vingtaine de minutes où la tension ne se relâche guère. Les sons glissés, itératifs, en trémolo, les motifs tourbillonnants texturant une matière « grouillante », animent l'écriture du quatuor comme celle du tutti qui en répercute la vivacité, grossissant parfois les effets de polyrythmie et donnant à entendre une orchestration éclatée dans l'espace. La tension s'exacerbe sous l'action des processus qui portent les instruments des Diotima vers les seuils aigus de leur tessiture. Agissant au sein de l'orchestre, ces mêmes processus ne sont pas moins efficients, enclenchant des mouvements répétitifs voire mécaniques et roboratifs.
Gestes mantovaniens
Ils agissent d'abord au sein d'une percussion hyperactive, retentissante (la frappe énergétique sur les peaux, l'éclaboussure des cymbales) voire violente qui lacère l'espace et strie le temps, une manière chez Mantovani de creuser la dramaturgie sonore. S'entend également, dès l'introduction, le motif mélodique de chute au profil microtonal, confié ordinairement à la clarinette mais qui apparaît ici au hautbois d'abord puis repris au fil de la trajectoire, notamment par l'alto des Diotima : signature timbrale du compositeur, elle peut varier dans ses détours ornementaux et signale le plus souvent un moment de détente.
Créer la surprise
Mantovani aime la virtuosité et comme il l'a fait dans ses deux premières Cadenze (pour percussion et pour accordéon) il ménage aux solistes une cadence placée peu ou prou au mitan de l'œuvre. Mais l'idée lui vient, pour faire entendre, dit-il, « un autre timbre de violon », de confier le dernier instant, le plus virtuose – l'exercice est de taille! –, au premier violon de l'orchestre, ici Luc Héry en vedette, s'acquittant, et avec quel panache, de ce solo d'anthologie sous les trames discrètes de l'orchestre.
La coda, laissant le quatuor à cordes quasiment sans voix, reprend les premières mesures du concerto – mouvement chaotique et sons-souffle – avant la retombée dans le silence. L'engagement des quatre solistes (qui ont créé en 2021 le Quatuor à cordes n°7) est prodigieux, boostant un « National » en grande forme sous la baguette aussi précise qu'efficace de Kristiina Poska.
Unité et clarté
Avec l'Orchestre National de France qu'elle a déjà dirigé, Poska donne en seconde partie une interprétation personnelle de la « Cinquième » de Beethoven qui nous comble. De son compositeur de prédilection, dit-elle, elle prépare l'enregistrement d'une intégrale des symphonies avec l'orchestre de Flandres dont elle est titulaire.
Pris à bonne allure, le premier mouvement avance, Poska cherchant davantage, à travers cette poussée intérieure, la grande ligne qui nous amènera sans faillir au do majeur du final plus que l'emphase oratoire qu'elle balaie délibérément. Pas de précipitation pour autant: le phrasé y est souple et le discours parfaitement articulé jusqu'à la double barre finale. Le deuxième mouvement à variations s'inscrit dans la trajectoire, Poska soignant les relais de timbres et la clarté d'un discours dont on apprécie la fluidité. Dessinant ses lignes verticales, le troisième mouvement est superbe, dont la fugue centrale crépite sous les archets, sans pesanteur et dans l'énergie des différentes entrées. Le finale enchaîné a l'éloquence et la densité souhaitée, où l'entrée des trombones et contrebasson est aussi efficiente que celle du piccolo, bien mis en valeur. C'est ainsi que l'on aime entendre Beethoven aujourd'hui, la « Cinquième » du moins, dans cette unité organique du style et la parenté expressive de ses mouvements.
Crédit photographique : © Dimitri Scapolan (Kristiina Poska)
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Paris. Auditorium de Radio France. 10-IV-2025. Bruno Mantovani (né en 1974) : Cadenza n°3, concerto pour quatuor à cordes et orchestre (CM) ; Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Symphonie n°5 en ut mineur, op.67. Quatuor Diotima ; Orchestre National de France, direction : Kristiina Poska