Samuel Hasselhorn et Ammiel Bushakevitz : Schubert au sommet

Il n'y a pas d'interprètes définitifs pour Schubert, et surtout pas dans le Lied, tant les potentialités d'interprétation sont variées. Mais Schubert porté à un degré d'accomplissement pareil, c'est quand même bien rare.

Tant en reconnaissant les talents et les très belles choses que peuvent faire ensemble ce baryton et ce pianiste, on avait formulé quelques réserves à propos du disque où ils donnaient La belle Meunière. Ici, toutes ces réserves tombent, et le bonheur est complet d'entendre un Schubert aussi juste, aussi profond et aussi poétique. Dès le premier Lied, Die Junge Nonne, on trouve la confirmation que nous sommes face à des interprètes d'exception. La violence des éléments déchaînés comme des émotions, l'épuisement de l'âme qui veut renoncer au monde (Wie das Grab allégé, blanchi jusqu'au murmure …), l'aspiration à l'union mystique, le bonheur du dernier Alleluja… Chaque mot, chaque inflexion, chaque nuance est délicate et porteuse du sens profond du texte. Fera-t-on un jour à ces deux-là le reproche d'en faire trop, comme on l'a fait à Dietrich Fischer-Dieskau et Gerald Moore ? Ce n'est pas certain, car tout semble couler de source, comme une évidence d'authenticité. Il ne fait pourtant aucun doute que tout est extrêmement travaillé, mais cela ne se ressent absolument pas. Il n'y a que beauté, émotion et spontanéité qui apparaissent et nous submergent, et ceci encore après une demi-douzaine d'écoutes. Évidente, l'infinitude de ces roulements sur ätherischen Chöre dans Auflösung. Lumineux, le ciel scintillant d'étoiles évoqué dans Die Allmacht, et impressionnante, la posture de prophète adoptée sur les mots Gross ist Jéhovah. Tout est parfaitement réussi. Chaque Lied est un sommet. Avouons une fascination toute particulière pour Im Abendrot, où les couleurs étirées jusqu'au bout du phrasé le plus long et le plus souple qui soient créent une prière d'une humilité totale. Redisons : un degré d'accomplissement pareil, c'est rarissime.

Le programme compte quinze lieder qui sont entremêlés de pièces pour piano seul, comme on a pris l'habitude de le faire dans les concerts de Lieder de nos jours. Ce n'est pas en soi nécessaire dans un CD, mais il faut avouer que c'est très agréable. Cela permet de relâcher un peu la tension de l'écoute, qui est forte, et ce que fait Ammiel Bushakevitz de ces Ländler et Deutsche Tänze est délicieux de légèreté toujours dense de sens. La phraséologie éditoriale parle d'ombres et de lumière, « Licht und Schatten », ce qui est un peu passe-partout, mais c'est sans importance. Ce qui compte, c'est que ces deux artistes-là continuent à nous graver des Lieder, et à un CD annoncé par année anniversaire de 1824 à 1828, cela nous amène à 2028. À défaut d'une intégrale Schubert, que mériterait un schubertien aussi remarquable que Samuel Hasselhorn (lauréat ICMA 2025), on est preneur !

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