Redécouverte d’une œuvre oubliée : le Dieu bleu de Reynaldo Hahn
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Reynaldo Hahn (1874-1947) : Le dieu bleu. Orchestre des Frivolités parisiennes, direction : Dylan Corlay. 1 CD B records. Enregistré le 21 septembre 2023 à la Cité de la Musique et de la Danse de Soissons. Notice de présentation en français et anglais. Durée : 47:00
B RecordsLa même question se pose à chaque fois : parmi l'océan des partitions oubliées – parfois justement, parfois non – quelle île sera découverte ? Avec le recul, comment percevrons-nous cette « nouveauté » au regard de l'ensemble de l'œuvre connue de l'auteur et de l'histoire de la musique ? Tentons d'y répondre pour ce ballet crée le 13 mai 1912 au Théâtre du Châtelet.

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Commandé par Diaghilev pour les Ballets Russes, sur un argument de Jean Cocteau, le ballet en 1 acte de Reynaldo Hahn fait suite à une précédente musique chorégraphique de 1910, la Fête chez Thérèse. Il n'en écrira plus par la suite. L'argument situe l'action dans l'Inde fabuleuse : au sein d'un temple, un jeune homme va devenir prêtre. Pendant la cérémonie, une jeune fille intervient pour supplier le jeune homme dont elle est éprise de ne pas la quitter. En extase, sous la domination des prêtres indignés qui l'insultent et veulent la chasser, il reste indifférent. Pourtant, elle insiste et se met à danser pour le reconquérir. Peu à peu, il se trouble et se rapproche d'elle. Les prêtres se saisissent de lui et l'emportent tout en menaçant la jeune fille qui se fait enfermer dans le temple où des monstres veulent l'entraîner avec eux. Suppliante, elle réveille la déesse du temple et fait apparaître le dieu bleu qui rend inoffensifs les monstres et les prêtres sidérés qui libèrent la jeune fille qui peut alors retrouver son amant. Le couple est béni par la déesse et le dieu bleu monte vers le ciel. Léon Bakst – très lié aux ballets russes – conçoit costumes et décors luxuriants. La chorégraphie est de Fokine, Nijinski danse le rôle-titre. Inghelbrecht dirigeait en lieu et place de Monteux, alors chef d'orchestre des ballets russes. Pourtant, l'œuvre tombe dans l'oubli malgré des critiques élogieuses et la mode orientale dans le monde artistique de l'époque.
Jouer de nos jours les 16 numéros du ballet sans autre référence que la partition et les dessins des costumes et décors qui nous sont parvenus est un vrai défi, le même pour toute œuvre exhumée des archives. Mais l'on sait que Hahn, outre le fait d'être un pianiste et un mélodiste d'exception, se distingue également en tant qu'orchestrateur. Hahn écrit des sujets mélodiques et rythmiques qui s'enchaînent, par moments de plus en plus rapidement ; de petites cellules rythmiques deviennent entêtantes (danse de yoghis) et frénétiques ; le clair de lune est féérique, les danses des démons sont puissantes, les apparitions divines baignent dans une couleur mythique. À l'écoute continue on a l'impression d'entendre un vaste et riche poème symphonique suffisamment évocateur de l'atmosphère recherchée sans être platement illustrative.
L'orchestre des Frivolités parisiennes a réussi le tour de force de doubler ses effectifs (de 40 il passe à 70) et d'apporter une grande lisibilité au texte musical, tout en étant frustré de ne pas diriger avec une vraie chorégraphie, remplacée par une création vidéo d'animation pour les auditeurs. On sait où l'on va dès le début : la vingtaine de mesure à la flûte solo qui introduisent le sujet devrait d'ailleurs être proposée comme morceau d'examen ! L'enregistrement live démontre un investissement permanent des musiciens et du chef Dylan Corlay qui jouent sans filet. La recherche d'un équilibre entre les pupitres est porteuse de sens. Les quelques bruits que l'on perçoit parfois nous mettent dans l'ambiance vraie de la salle de concert.
Alors pourquoi cet oubli ? Durant ces premières années du XXe siècle, les ballets russes ont créé en 1910 Petrouchka, en 1911 L'Oiseau de feu, en 1912 L'Après-midi d'un faune et Daphnis et Chloé, en 1913 Jeux, le Sacre du Printemps, la Tragédie de Salomé. Autant dire des rouleaux-compresseurs musico-chorégraphiques très modernes auprès desquels le « petit » ballet de Reynaldo Hahn, lui-même fidèle au style homogène de son auteur, n'avait quasiment aucune chance de survie dans le temps. L'entrée en guerre a fait le reste. Mais maintenant que le répertoire majeur est bien inscrit dans les habitudes d'écoute, l'heure est effectivement venue de redécouvrir celui qui n'a pas eu cette opportunité.
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Reynaldo Hahn (1874-1947) : Le dieu bleu. Orchestre des Frivolités parisiennes, direction : Dylan Corlay. 1 CD B records. Enregistré le 21 septembre 2023 à la Cité de la Musique et de la Danse de Soissons. Notice de présentation en français et anglais. Durée : 47:00
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