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La Passion selon les enfants de Zad Moultaka avec la Maîtrise de Radio France

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Paris. Auditorium de Radio France. 6-IV-2025. Zad Moultaka (né en 1967) : La Passion selon les enfants (CM), pour chœurs d’enfants et ensemble instrumental ; livret de Bruno Messina ; Maîtrise de Radio France ; Les musiciens de Saint-Julien ; direction : Sofi Jeannin

Après sa Passion selon Marie composée en 2011, se penche vers les petits et questionne leur point de vue face à la douleur et la souffrance dans sa Passion selon les enfants, commande de Radio France donnée en création mondiale. Elle convoque dans l'Auditorium de Radio France quelque 95 maîtrisiens (ceux de la Maison ronde) et les sous la direction de .

Des estrades de bois clair où sont disposées des sortes de pierres (des sacs de papier transfigurés par la lumière) accueillent trois chœurs d'enfants (dont celui des petits de 6 à 8 ans) et quatre jeunes solistes, tous placés en demi-cercle derrière l'ensemble d'instruments baroques (violes de gambe, cornets et sacqueboutes, archiluth et théorbe, clavecin et orgue positif, etc.) ainsi qu'une percussion plus atypique incluant un grand tambour chinois, des gongs suspendus et une grosse caisse symphonique.

Un livret plein d'humanité

« En retrait sont toujours les enfants / Témoins de tout jamais cités »… a confié le livret de sa « Passion » à avec lequel il a déjà collaboré dans Hercule dernier acte programmé en 2023 au Festival Berlioz. Avec un prologue (Terre) et un épilogue (Ciel), le texte d'envergure est conçu en huit parties qui correspondent aux huit numéros du jeu de la marelle : « Comme une échelle vers un royaume / Nous jouons tous à la marelle ». Dans un souci d'universalité, Messina y multiplie les langues selon les sources utilisées et le ton adopté. Ainsi, le récit proprement dit de la passion – dont les scènes principales sont conservées – est écrit en Araméen, empruntant aux quatre évangélistes, Matthieu, Jean, Luc et Marc ; le français sera le plus couramment utilisé mais on y trouvera aussi de l'hébreu, de l'anglais, du latin (Stabat Mater de Lodi) et de l'allemand (texte de Friedrich Rückert), un maniement des langues (dont les surtitres nous donnent la traduction) d'une vraie virtuosité assumée avec brio par nos jeunes héros de la soirée qui chantent tout par cœur ! La plume est sensible, gorgée d'humanité, grave et légère à la fois, joueuse et qui tend la main aux enfants par qui le texte sera entendu : « On lui dit blasphème / Il répond c'est celui qui le dit qui l'est / Il répond c'est celui qui me suit qui aime. »

Entre dire et chanter

Du parlé-rythmé du chœur au chant déclamé des solistes, du texte psalmodié sur une corde de récitation au fredon des berceuses, diversifie la palette et les configurations vocales au maximum. Il dit être parti des comptines arabes de son enfance pour aller à la rencontre de toutes les cultures qui le traverse. Ainsi cette chanson enfantine que l'on entend au début et à la fin de la « Passion » (Terre et Ciel), accompagnée de la darbouka et du davul, les deux tambours du Moyen-Orient qui en projettent les rythmes et les couleurs. Si l'écriture vocale en elle-même est simple, à une ou deux voix, le principe responsorial (opposition soliste et chœur) ou antiphoné (passage d'un chœur à l'autre), le jeu des registres et les superpositions – trame lisse de voix aiguës au-dessus des voix scandées dans le médium –, donnent du mouvement, complexifient la texture et renforcent d'autant l'espace expressif.

Le récit en araméen confié à l'un(e) des quatre solistes – Noé, Noam, Noah et Naham, dans le livret – rappelle celui de l'évangéliste dans les passions de Bach, avec l'accompagnement du clavecin. Comme chez Bach également, et découvrant de belles perspectives sonores, les instruments anciens, de la contrebasse solo à la flûte, du hautbois baroque au cornet à bouquin, sont concertants, déployant leurs lignes ornementales et parfois microtonales sur des parties chorales plus rectilignes ; ainsi l'envoûtante flûte alto détempérée de sur le parlé-rythmé des solistes dans le début du Via Cruxis, citant ici un passage en hébreu.

Les instrumentistes ont également à charge d'anticiper les intonations, de soutenir voire doubler les lignes de chant, d'amplifier les scansions rythmiques du chœur (grosse caisse) ou de faire fonctionner une basse obstinée sur laquelle se cale la voix des enfants. La partition est foisonnante, tenue à bout de bras par dont la concentration et l'énergie du geste opèrent. C'est elle qui a préparé solistes et chœur dont la qualité vocale et scénique, durant les 75′ d'une partition exigeante, impressionne.

Faire entendre la violence

« Papa, oh Papa / Qui donc frappe ainsi sans raison / Papa, oh Papa pourquoi » : c'est le refrain qui rythme le chant litanique des quatre solistes dans le Via crucis (V), nœud du drame où la tension monte jusqu'à un premier climax. aime les répétitions et les énumérations : comme cette longue liste de mots (Croix, cris, fous, chiens, crocs, rats, poux, rue, bouc, etc.) scandés haut et fort par l'ensemble des voix et battus par la grosse caisse. C'est le cri d'injustice devant la mort de Jésus lancé par les enfants qui fait vibrer une première fois la salle à l'unisson… avant que l'orgue Grenzing de l'Auditorium, mis sous les projecteurs, ne libère les vannes du son (énormes clusters et pleins-jeux rejoints par la cornemuse de ) saturant l'espace et laissant le chœur (et les auditeurs) sans voix…

L'hymne à la nuit de Rückert, sorte de choral chanté a cappella par un des solistes juste après la déflagration sonore, n'en est que plus saisissant, tout comme cette dernière intervention inattendue d'un adolescent à la tessiture plus grave, sorti des rangs du deuxième chœur ; voix fervente et invocante, d'une poignante intensité sous la vibration légère des gongs, il vient livrer in fine son message d'amour et d'espoir – car La Passion selon les enfants n'est pas une œuvre de deuil – avant l'Alléluia collectif.

Crédit photographique : © Radio France

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Paris. Auditorium de Radio France. 6-IV-2025. Zad Moultaka (né en 1967) : La Passion selon les enfants (CM), pour chœurs d’enfants et ensemble instrumental ; livret de Bruno Messina ; Maîtrise de Radio France ; Les musiciens de Saint-Julien ; direction : Sofi Jeannin

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