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À Hambourg, Falstaff ou la vengeance des femmes selon Calixto Bieito

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Hambourg. Opéra d’Etat. 6-IV-2025. Giuseppe Verdi (1813-1901) : Falstaff, opéra en trois actes sur un livret d’Arrigo Boito d’après Shakespeare. Mise en scène : Calixto Bieito. Avec : Christopher Purves, Falstaff ; Simon Keenlyside, Ford ; Danielle De Niese, Alice Ford ; Elbenita Kajtazi, Nanetta ; Kady Evanyshyn, Miss Meg Page ; Anna Kissjudit, Dame Quickly ; Seungwoo Simon Yang, Fenton ; Jürgen Sacher, Docteur Caïus ; Daniel Kluge, Bardolfo ; Tigran Martirossian, Pistola. Chœur et Orchestre de l’Opéra d’Etat de Hambourg, direction : Finnegan Downie Dear

À l'occasion de cette reprise de la production du Falstaff de Verdi, donnée « in loco » en 2020 et sous couvert de la farce, dresse un décapant tableau de la cruauté humaine où l'homme s'affirme « in fine » comme son principal prédateur. À méditer.

Six ans après Otello, revient à Shakespeare pour son ultime opéra, mais cette fois le drame cède la place à la farce et le langage se modifie, abandonnant les grands airs de soliste pour mettre en avant un orchestre acteur à part entière. La musique est luxuriante, parsemée de merveilleux ensembles vocaux, et le tout s'appuie sur un livret d', impeccablement peaufiné, réduit et avivé d'après les Joyeuses commères de Windsor. Un livret qui fait la part belle aux femmes, vengeresses, justicières impitoyables qui n'épargneront pas le héros dans sa cruelle déchéance. Heureusement, comme le dit finalement le Chevalier gras sans rancune : « Le monde entier n'est qu'une farce et l'homme est né bouffon ! »

Pour traiter ce sujet à la saveur douce-amère, nous propose une mise en scène virtuose, décapante, dynamique et sans temps mort, dans une lecture au premier degré, efficace, drôle et cruelle, avec un point de bascule irrémédiable dans le premier tableau de l'acte III où il nous montre Falstaff déchu, dépressif assis sur ses toilettes, amorçant sa descente aux enfers concoctée par ces dames jusqu' à l'heureux dénouement final où la farce emprunte au merveilleux, comme dans le Songe d'une nuit d'été… La scénographie très lisible présente essentiellement deux tableaux (le restaurant de Falstaff et la maison d'Alice Ford) disposés sur une tournette autour de laquelle se déplacent avec aisance les chanteurs-acteurs, tous irrésistibles de drôlerie. La direction d'acteurs ne souffre aucun reproche et les costumes s'adaptent parfaitement au livret. Chemin faisant réussit la gageure de nous émouvoir avec cet anti-héros tout en se livrant à un véritable plaidoyer pour le droit à la différence : « Fette Steuern für die Fetten » qu'on pourrait traduire, avec humour par : « Lourds impôts pour les poids lourds ! » Un appel déguisé à la tolérance qu'il n'est peut-être pas inutile de rappeler par les temps qui courent.

Si Ambrogio Maestri avait tenu le rôle-titre lors de la création de 2020, c'est aujourd'hui qui le remplace avec une verve équivalente (mais la corpulence du personnage en moins) au sein d'une distribution vocale qui impressionne par sa qualité comme par son homogénéité. Parfait acteur, chanteur du même métal, à la vocalité facile et à la diction sans faille, on suit tout au long de la farce, sa lente déchéance depuis le chevalier gras hâbleur, ivrogne et boulimique du premier acte jusqu'au pauvre clochard souffre-douleur de ces dames (Alice, Meg, Quickly et Nanetta) et de ces messieurs qui ne valent pas mieux (Pistola, Bardolfo, Dr Caïus et Mr Ford) lors du dernier acte où il subit un bien cruel lynchage. fait également une prestation de haut niveau vocal et scénique en Ford, mari piteux, stupide, colérique et paranoïaque. (Pistola), (Bardolfo) et (Docteur Caïus), tous bien chantants, sont les indispensables compères de la farce. Restent les femmes qui mènent la danse. Au premier rang desquelles campe une Alice Ford dominatrice aux aigus solides qui séduit par son jeu plein d'allant comme par sa voix à la large projection. Plus en retrait scéniquement, (Meg page) lui tient cependant la dragée haute dans les nombreux ensembles, tout comme (Mrs Quickly) qui impressionne par son timbre abyssal. On citera à part le couple constitué par la Nanetta d' et le Fenton de qui séduisent, tant par leur legato que par leur souffle infini dans leurs airs respectifs de l'acte III.

Dans la fosse, pour ses débuts, Finnegan Downie Dear conduit l'orchestre et le chœur du Staatsoper de Hambourg avec fougue et brio, parfaitement en phase avec la dramaturgie, maintenant un équilibre constant avec les chanteurs.

Crédit photographique : © Monika Rittershaus / Staatsoper de Hambourg

Modifié le 11/04/2025 à 9h38

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Hambourg. Opéra d’Etat. 6-IV-2025. Giuseppe Verdi (1813-1901) : Falstaff, opéra en trois actes sur un livret d’Arrigo Boito d’après Shakespeare. Mise en scène : Calixto Bieito. Avec : Christopher Purves, Falstaff ; Simon Keenlyside, Ford ; Danielle De Niese, Alice Ford ; Elbenita Kajtazi, Nanetta ; Kady Evanyshyn, Miss Meg Page ; Anna Kissjudit, Dame Quickly ; Seungwoo Simon Yang, Fenton ; Jürgen Sacher, Docteur Caïus ; Daniel Kluge, Bardolfo ; Tigran Martirossian, Pistola. Chœur et Orchestre de l’Opéra d’Etat de Hambourg, direction : Finnegan Downie Dear

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