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La Force du destin à Lyon : Bravo, Maestro !

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Lyon. 20-III-2025. Giuseppe Verdi (1813-1901) : La Force du destin, opéra en 4 actes sur un livret de Francesco Maria Piave et Antonio Ghislanzoni. Mise en scène et scénographie : Ersan Mondtag. Costumes : Teresa Vergho. Lumières : Henning Streck. Avec : Rafał Pawnuk, basse (Marchese di Calatrava) ; Michele Pertusi, basse (Padre Guardiano) ; Hulkar Sabirova, soprano (Donna Leonora) ; Arlunbaatar Ganbaatar, baryton (Don Carlo di Vargas) ; Riccardo Massi, ténor (Don Alvaro) ; Paolo Bordogna, baryton (Fra Melitone) ; Maria Barakova, mezzo-soprano (Preziosilla) ; Francesco Pittari, ténor (Trabuco) ; Jenny Anne Flory, mezzo-soprano (Curra) ; Hugo Santos, baryton (l’Alcade, le Chirugien). Chœur (chefs des choeurs : Benedict Kearns, Guillaume Rault) et Orchestre de l’Opéra de Lyon, direction : Daniele Rustioni

Titre-phare du festival 2025 de l'Opéra de Lyon Se saisir de l'avenir, cette Force du destin très attendue restera dans les mémoires davantage pour les adieux bouleversants de que pour les débuts ratés d'Ersan Montag dans la Cité des Gaules.

« Bravo, Maestro ! » Ce cri du cœur tombé des hauteurs, qui, après l'entracte, juste avant l'Acte III, a accueilli à son retour en fosse , a donné à l'Opéra Nouvel un petit air de Scala de Milan. On savait que le chef principal de l'Opéra de Lyon depuis 2017, puis son directeur musical depuis 2022, allait prochainement rejoindre les forces du Metropolitan Opera de New York. Même si, de Don Carlos à Guillaume Tell, l'on avait plusieurs fois vanté sa manière de rendre les œuvres inflammables, on était loin d'imaginer le couronnement personnel de cette Force du destin, l'opéra mal-aimé parce que mal monté, que Verdi écrivit en 1862 à la demande du Théâtre Impérial de Saint-Pétersbourg.

Même s'il a fait choix de la version la plus longue, celle révisée en 1869 pour Milan, c'est à cette prime demande russe que Rustioni semble vouloir rendre hommage en libérant dans le discours de l'Ouverture une houle de cordes échevelées qui ne déparerait pas une symphonie de Tchaïkovski. Donnant d'emblée beaucoup de sa personne, habité par la musique, se lance ensuite dans une lecture sans temps mort, attachée autant à révéler la beauté de la problématique partition qu'à exalter celle de chacun des pupitres de l'Orchestre de l'Opéra, la baguette rivée à l'occasion sur le potentiomètre du tellurisme (le Temerari, del ciel l'ira fuggite! de Léonore au IV) du cataclysmique (le Ella…ferita! d'Alvaro).

Face à un tel don de soi, le plateau est appelé à se surpasser. Ce dont ne se fait pas prier : son organe puissant le pousse à céder au péché mignon de faire d'Alvaro un ténor puccinien. Moins tenté par le vérisme, mais tout aussi robuste, le baryton venu d'Oulan Bator, , très justement fêté aux saluts, fait figure de révélation. Cette Force du destin est également bien défendue par la ligne chaleureuse, bien conduite et d'une belle longueur de souffle de la soprano . En Preziosilla, s'emploie à alléger la vulgarité généralement associée à ce personnage de fille à soldats à la solde du pouvoir guerrier. Condamné par la mise en scène au pontifiant, continue d'étonner par sa longévité, son Padre Guardiano s'avérant particulièrement bien chantant. Abandonné à l'auto-truculence, allonge la liste des Melitone prestes et lestes de la tradition. Bien que très secondaires, Le Marquis de Calatrava de Rafał Pawnuk, le Trabuco de , la Curra de sont bien caractérisés. Détonne seul l'Alcade forçant par trop le trait d', dont le baryton sonore apparaît plus mesuré en chirurgien. Dans ce Verdi de la grande maturité, le chœur de l'Opéra de Lyon se saisit des nombreuses occasions qui lui sont données de briller, entraîné par le torrent Rustioni.

Si Daniele Rustioni a su « se saisir de son avenir » avec cette série de représentations, il en va tout autrement du metteur en scène allemand . Opéra aux quatre actes se déroulant entre Italie et Espagne, de surcroît à des époques différentes, La Force du destin est réputé difficile voire mal fagoté. Prétendre cela n'est plus possible après la brillante démonstration contraire de Tobias Kratzer à Francfort en 2019, qui avait su révéler à plus d'un spectateur que l'éléphant dans la pièce duquel découlaient les malheurs de tous les protagonistes était le racisme. Conteur plus banal, , pourtant précédé d'une allechante réputation,  délègue au seul décor le soin d'expliciter son concept : la guerre, c'est moche. Le premier acte se déroule dans l'usine d'armement du Marquis de Calatrava ; le second devant une église édifiée avec un amoncellement de crânes, de fresques de suppliciés ; le troisième dans un hôpital militaire scruté depuis une salle de cinéma ; le quatrième devant l'église cette fois en ruine. Quatre tableaux façon BD crayonnée, à l'ambition anxiogène, de fait plus parlants que la direction d'acteurs, des plus convenues. Pas plus que des solistes, Mondtag ne sait que faire du chœur, réduit à des déplacements d'un autre âge. Les costumes ne sont pas davantage épargnés qui, en sus de dissimuler toutes les chevelures féminines, vont même jusqu'à affubler les femmes les plus en vue de coiffes dont les turbans noués les transforment toutes en léporidés ! Les rires discrets accueillant les morts en cascade finales achèvent de sceller le naufrage de cette Force du destin dont la dramaturgie, paresseusement réduite à un anti-militarisme de façade, aura autant échappé à , qu'elle avait peu intéressé, à Montpellier en début de saison, le plus élégant mais tout aussi inoffensif Yannis Kokkos.

Désolé par cette nouvelle lecture, aussi superficielle que d'un esthétisme assez contestable, l'œil se sera plus d'une fois réfugié dans la fosse, où tout se sera finalement joué. Comme Aïda, La Force du destin est un opéra qui se termine pianissimo. Ses ultimes mesures sont ce soir inoubliables, qui font que ce n'est pas du plateau que l'on emporte la plus belle image : tandis que le rideau tombe lentement, ainsi que le spécifie la dernière didascalie, les bras de Daniele Rustioni, et au bout d'iceux, ses mains, s'élèvent lentement très haut, et plus encore, comme tentées par l'envol vers l'éther d'autres cieux, d'un lieu d'où, huit années durant, elles auront fait s'élever la passion inextinguible de la musique.

Crédits photographiques : © Jean-Louis Fernandez

Daniele Rustioni nommé directeur musical émérite de l'Opéra de Lyon

 

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Lyon. 20-III-2025. Giuseppe Verdi (1813-1901) : La Force du destin, opéra en 4 actes sur un livret de Francesco Maria Piave et Antonio Ghislanzoni. Mise en scène et scénographie : Ersan Mondtag. Costumes : Teresa Vergho. Lumières : Henning Streck. Avec : Rafał Pawnuk, basse (Marchese di Calatrava) ; Michele Pertusi, basse (Padre Guardiano) ; Hulkar Sabirova, soprano (Donna Leonora) ; Arlunbaatar Ganbaatar, baryton (Don Carlo di Vargas) ; Riccardo Massi, ténor (Don Alvaro) ; Paolo Bordogna, baryton (Fra Melitone) ; Maria Barakova, mezzo-soprano (Preziosilla) ; Francesco Pittari, ténor (Trabuco) ; Jenny Anne Flory, mezzo-soprano (Curra) ; Hugo Santos, baryton (l’Alcade, le Chirugien). Chœur (chefs des choeurs : Benedict Kearns, Guillaume Rault) et Orchestre de l’Opéra de Lyon, direction : Daniele Rustioni

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