Georg Muffat l’organiste cosmopolite, en gloire à Versailles avec Bernard Foccroulle

Georg Muffat, Georges devrait-on dire, est né en France à Megève au milieu du XVII^e  siècle. Nourri de cultures italienne, française et allemande, il synthétise un style européen à la manière des goûts réunis. Bernard Foccroulle propose une version très colorée de plusieurs toccatas sur l'orgue classique français de la Chapelle royale de Versailles, aux côtés du violon souverain de Marie Rouquié.

La collection de CD autour de l'orgue de la Chapelle royale de Versailles s'enrichit d'un nouveau volume consacré au compositeur Georg Muffat. Connu entre autres comme organiste de la cathédrale de Passau en Allemagne, il écrit pour son instrument un ouvrage intitulé « Apparatus Musico-Organisticus » paru en 1690. Ce recueil comprend essentiellement 12 Toccatas suivies d'une Passacaille, d'une Chaconne et de Variations. Il est dédié à l'Empereur Léopold I^er à l'occasion du couronnement de son fils Joseph I^er comme roi de Rome. L'auteur s'emploie à composer une musique en style italien prenant Girolamo Frescobaldi comme modèle. Sa pensée musicale va bien au-delà car il y intègre également le style français de l'époque porté par Jean-Baptiste Lully ainsi que les formes typiquement allemandes comme la fugue. Ainsi tout au long des différentes pièces, ces styles réunis se mêlent magiquement et harmonieusement, ce que démontre le présent enregistrement.

Le choix d'un orgue classique français est particulièrement judicieux car il permet un équilibre indispensable entre les différentes familles de jeux et de couleurs que demandent ces « goûts réunis ». Bernard Foccroulle, en grand spécialiste de l'orgue ancien trouve à Versailles un instrument idéal qui offre toutes possibilités et solutions dans les mélanges sonores. Seul l'orgue français permet une approche aussi pointue. Ainsi une sélection de huit Toccatas aborde ces divers styles : La « Prima » évoque l'Italie par ses mélismes volubiles, la « Septima » offre une Ouverture à la française, suivie dans sa dernière partie d'une longue fugue au souffle germanique. Bernard Foccroulle se réfère directement aux mélanges traditionnels de registrations de l'orgue français. On note en particulier l'usage abondant du cromorne, ce jeu d'anche qui procure une sensation de plénitude quelque soit sa tessiture et qui demeure très polyphonique. Le fond d'orgue, le jeu de tierce, le plein-jeu et le grand chœur d'anche sont autant de combinaisons qui sont là pour traduire les intentions de l'auteur. Comme signalé précédemment, chaque album de cette collection propose une prise de son différente, qui s'équilibre de diverses manières dans la grande acoustique de la chapelle. Ici, tout est fait pour que chaque détail soit perceptible et respire librement, au service du toucher de l'organiste, en une agogique indispensable afin de révéler harmonieusement le discours musical, savant et charmeur.

Pour ne pas oublier que Georg Muffat fut un compositeur complet au travers d'œuvres destinées aux voix et aux instruments, Marie Rouquié, violoniste, propose une Sonate en ré majeur inédite parvenue sous la forme d'un manuscrit autographe, issu de la bibliothèque de Kromeriz (République tchèque). Cette œuvre s'insère au centre du programme, entre deux séries de quatre Toccatas. Inspirée de l'art d'Arcangelo Corelli, elle est présentée dans ce contexte logiquement accompagnée à l'orgue, ce qui lui confère une grande homogénéité. On apprécie tout particulièrement la sonorité fine et aérienne du violon baroque de l'interprète, se répandant, tel un parfum capiteux dans la grande nef versaillaise.

Voici une pierre précieuse apportée dans une discographie déjà abondante concernant Muffat organiste, aux côtés de versions de référence de ces Toccatas baroques pour l'orgue : René Saorgin (Harmonia Mundi), Michaël Radulescu (Ars Musici) ou Jacques Bétoulières (Ventadorn)…