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Entre voix et baguette, l’étonnant dédoublement de Barbara Hannigan

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Paris. Cité de la Musique. Salle des concerts. 3-IV-2025. Richard Strauss (1864-1949) : Métamorphoses pour orchestre à cordes ; Francis Poulenc (1899-1963) : La Voix humaine, tragédie lyrique en 1 acte sur un livret de Jean Cocteau. Mise en espace et vidéo : Clemens Malinowski. Orchestre Philharmonique de Radio-France, chant et direction : Barbara Hannigan

Dans un programme déjà donné sans public lors de la pandémie en 2021, à la voix et à la baguette, dirige le Philhar dans les douloureuses Métamorphoses de et interprète « Elle » dans La Voix humaine de .

Méditation poignante devant la ville de Munich ruinée pour l'une, désespoir de l'abandon pour l'autre, deux faces d'une même souffrance de l'âme dont nous livre une superbe et prégnante interprétation, intimiste pour la première, quasi expressionniste pour la seconde, dans une mise en miroir saisissante de contrastes, servie par un brillant de tous ses pupitres.

Les Métamorphoses, étude pour 23 cordes solistes, ultime partition d'orchestre du compositeur (1946), dédiées à Paul Sacher, sont nées du « deuil de Munich », ville natale de Strauss, bombardée par les alliés le 2 octobre 1943. Elles représentent comme un adieu grave et désolé à l'ancien monde, celui d'une culture musicale germanique nourricière dominée par Beethoven dont la Marche funèbre de la Symphonie héroïque est citée dans les dernières mesures…

Dès l'entame en demi-teinte dans les sonorités graves (violoncelle de Nadine Pierre), on est séduit par la superbe sonorité des cordes du Philhar menées par Ji-Yoon Park, autant que par la direction pertinente et particulièrement lisible de qui dirige à mains nues pour mieux sculpter la pâte sonore. Dans cet Adagio aux accents brucknériens, réflexion musicale sur la transcendance et le temps des mutations, dans un phrasé plus envoutant que véritablement émouvant, nourri d'un lyrisme tendu mêlant déploration et nostalgie, sérénité et drame, Barbara Hannigan conduit les cordes dans une polyphonie, à la fois claire et complexe, d'où émergent de multiples thèmes et contrechants. Haut en couleur le discours impressionne par sa tension constante malgré un tempo assez retenu, par son expressivité, autant que par sa progression dynamique chargée de nuances et de variations agogiques, avant de se conclure dans la sérénité et le silence recueilli.

Dans un tout autre registre, La Voix humaine de (1959), sur un livret de , donne lieu à une formidable « performance » de Barbara Hannigan où se mêlent dans un étonnant syncrétisme, chant, déclamation, danse, direction d'orchestre et jeu théâtral, exaltés par la mise en espace et la vidéo de

Interprète privilégiée de la tragédie lyrique de Poulenc qu'« Elle » a de nombreuses fois chantée (notamment avec Warlikowski à l'Opéra de Paris et à Radio France), Barbara Hannigan revêt avec bonheur, ce soir, sa double casquette de cheffe et de chanteuse pour une interprétation dont on ne sort pas indemne…L'actrice-chanteuse, formidable diseuse, s'y pare de tous les attributs de la passion et du désespoir d'une amoureuse que son amant va quitter pour en épouser une autre…

Rires, mensonges, menaces, faux détachement, tout y passe, tandis que l'interlocuteur, inaudible au bout du fil, met en relief l'insoutenable solitude de la victime. On est séduit par l'intensité de la prestation, par la diction et la prosodie sans faille, par le souffle infini de la soprano canadienne, par la précision hallucinante de la direction qui témoigne d'une parfaite connaissance de la partition, comme par l'engagement scénique de Barbara Hannigan qui chante, danse, joue en parfaite symbiose avec un Philhar qui répond comme un seul homme à la formule très éclatée de l'orchestration porteuse d'une cruelle inventivité faite de longs détours pour dire simplement qu'on ne s'aime plus… Renversant !

Crédit photographique : © Marco Borggreve

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