C'est un grand berliozien qui disparait. Le chef d'orchestre américain John Nelson est décédé, a annoncé sa maison de disque Erato-Warner. Né au Costa Rica le 6 décembre 1941, il étudie à la Juilliard School où il reçoit le prix Irving-Berlin de direction d'orchestre. Il mène une carrière aux Etats-Unis, puis en France et dirige de nombreuses formations à l'international. John Nelson a été directeur musical de l'Indianapolis Symphony Orchestra (1976-1987), de l'Opera Theatre of Saint Louis (1985-1988) et du Caramoor Music Festival à New York (1983-1990). Il a été directeur musical de l'Ensemble orchestral de Paris (1998-2008) et en était depuis directeur musical honoraire. Il a également été premier chef invité de l'Orchestre national de Lyon et conseiller artistique des orchestres de Nashville et de Louisville.
Chef d'opéra, il a une prédilection pour Mozart, le répertoire baroque et romantique, et une véritable passion pour Berlioz. On lui doit de grands succès avec le compositeur français dans une série inoubliable avec l'Orchestre Philharmonique de Strasbourg, gravée au disque pour Warner : Les Troyens en 2017 (Clef d'or ResMusica), La Damnation de Faust en 2019, Roméo et Juliette en 2022 et encore un concert il y a un peu plus d'un an à Strasbourg avec Joyce DiDonato et Michael Spyres. Il grave aussi avec l'OPS Les Nuits d'été et Harold en Italie. Citons également son Requiem marqué par un Sanctus d'anthologie avec Michael Spyres , à la cathédrale St Paul de Londres en 2019 (CD+DVD Erato).
Les gravures plus anciennes qui ont établi Nelson comme un berliozien d'exception ne doivent surtout pas être oubliées : son Béatrice et Benedict (Erato, réédité par Warner) avec l'Orchestre national de Lyon en 1992 avait été une révélation : avant lui, personne, y compris Colin Davis, n'avait réussi à rendre à cet opéra léger et mozartien sa fraîcheur, son naturel, enterrant par là-même le poncif que Berlioz, usé par tant de combats, aurait composé une oeuvre de second rayon. Après ce coup de maître, Nelson réalise un second exploit avec un Benvenuto Cellini avec l'Orchestre national de France (Virgin, réédité par Warner, Clef ResMusica) en 2004, qui là aussi s'impose par sa vie. Notre regrettée rédactrice Catherine Scholler avait parfaitement ressenti et caractérisé l'art de Nelson : « La gloire [de cette captation] revient à John Nelson. D'une œuvre ciselée dans du métal très dur, il a su tirer de l'Orchestre National de France, la substantifique moelle. Berliozien émérite, on le sent très scrupuleux des tempi, à retenir la bride de son orchestre quand cela est nécessaire, ou à le déchaîner en temps opportun. Il sait colorer la palette de mille nuances, par des teintes chatoyantes, parfois crues à nous secouer le tympan. C'est le véritable maître d'œuvre. Il a su imposer sa version qui deviendra la référence absolue, la seule légitime, la mieux inspirée. » 20 ans après, ces lignes prophétiques gardent toute leur actualité.
Si l'on ne devait garder qu'un seul enregistrement de John Nelson, ce serait la Scène d'amour et le Tombeau des Capulets de Roméo et Juliette dans l'enregistrement précité de 2022. Dans ces deux mouvements orchestraux où Berlioz atteint le sublime, Nelson réussit la gageure de la fusion des genres symphoniques et lyriques. Le chef nous plonge au cœur du drame, celui de l'amour et de la mort, et il atteint avec ses musiciens un état d'osmose avec la musique où il ne reste que la vie sublime et tragique. Soit exactement ce que recherchait Berlioz. (NF/JCLT)