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Seong-Jin Cho et Andris Nelsons dans des concertos de Ravel plus rutilants qu’inspirés

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Maurice Ravel (1875-1937) : concerto en sol pour piano et orchestre M.83; concerto » pour la main gauche » pour piano et orchestre en ré majeur, M.82. Seong-Jin Cho, piano. Boston symphony orchestra, Andris Nelson, direction. 1 CD Deutsche Grammophon. Enregistré au Boston symphony hall en avril et mai 2023 ( concerto en sol) et en janvier 2024 (concerto pour la main gauche). Notice de présentation en anglais et français. Durée : 40:59

 

nous livre sa version des deux concerti pour piano de Ravel, en compagnie du sous la direction d'

Âgé d'à peine 30 ans, Seong-Jin Chong peut s'enorgueillir d'un brillantissime parcours. Formé tout d'abord à Séoul (notamment à l'école Yewon), puis au CNSM de Paris auprès de , il est – entre autres – le vainqueur du Concours International Frédéric Chopin de Varsovie de 2015, et mène depuis une carrière au plus haut niveau, encadrée par un contrat d'exclusivité pour Deutsche Grammophon. Année du cent-cinquantenaire de la naissance de oblige : le label allemand lui confie outre une intégrale de l'œuvre pour piano solo, publiée séparément, ce nouvel enregistrement des deux concerti pour piano du maître français en compagnie du sous la baguette de son directeur musical d'.

Au fil du premier temps du Concerto en sol, le jeune virtuose scrute les détails de la partition avec une assurance technique confondante (l'incise soliste – au chiffre 17 de la partition – rarement entendue aussi preste et articulée) et une saisissante gourmandise sonore (les trilles de la grande cadence – chiffre 26 – évoquant presque la sonorité d'une  scie musicale). Mais la conception musicale, tant du soliste que du chef s'étiole superficiellement par cette recherche du détail pittoresque, voire trop uniment jazzy, « gershwienienne », au prix d'un certain morcellement de la pensée musicale : pourquoi exacerber à ce point les contrastes de tempi entre sections allegramente (de plus en plus bondissantes et véloces, sans grande cohérence, au gré de leur retour successif) et meno vivo trop étalées et torpides ?

Mais ce sont les trente premières mesures de l'adagio assai qui déconcertent : déçoit au cours de ce long énoncé solitaire par une affectation incongrue, une agogique maniérée, un décalage intempestif des mains, et une sophistication inutile des phrasés (là où Ravel voulait convier avec pudeur les mânes de Bach et surtout le Mozart du quintette avec clarinette) : tout rentre plus ou moins dans l'ordre au gré des interventions des vents, par une métrique recouvrée, sous la battue franche du chef, le thème principal peut enfin clairement s'épanouir à la reprise, grâce aussi à un remarquable cor anglais soliste que la pochette aurait pu nommer !

Le Presto final est sans aucun doute le mouvement le plus réussi de cette version pour le moins inégale : les interprètes affichent une roborative connivence et retrouvent le naturel et l'esprit ludique de ce final « pied-de-nez », entre divertissement « à la française » et scène de « chasse » musicale. Mais globalement, nous sommes loin des réussites majeures, cernant toutes mieux les propos multiples d'une œuvre oh combien ambiguë (Argerich/Abbado, plus encore à Londres qu'à Berlin, Zimerman/Boulez, tous publiés chez DGG, sans oublier les historiques Perlemuter/Horenstein, malgré un son précaire chez Vox legends ou Accord ou Benedetti-Michelangeli/Gracis, Warner)

Globalement, l'enregistrement Concerto pour la main gauche, plus satisfaisant, témoigne d'une unité de conception plus patente et d'une meilleure entente entre soliste et chef. Les transitions sont bien mieux amenées par un ordonnancement des tempi plus naturel et judicieux. Toutefois, la captation, différente, assez réverbérée, dans l'acoustique déjà généreuse du Boston Symphony Hall, noie parfois la sonorité du soliste – que l'on devine bien plus châtiée – dans un halo fantasque et la durcit exagérément au moindre forte, par exemple, lors de l'entrée en matière, péremptoire, et presque brutale, juste après un bien écrasant crescendo d'orchestre, où la phalange américaine s'avère souvent plus bruyante que raffinée…

et   défendent donc une approche assez linéaire voire unidimensionnelle de l'œuvre, faisant fi de son aura pathétique (un seul bras qui défie tout un orchestre !), élégiaque ou sépulcrale (le solo de contrebasson initial, sorte de Dies Irae séculier, ici assez péniblement ânonné). Le sardonique scherzo central devient joute ludique et presque amusée (avec un trombone assez « clownesque  » par ses glissandi, plage 5 à 4 minutes environ) loin de l'évocation de la marche à l'abîme d'une armée en déroute. La cadence finale, certes dominée techniquement, s'avère assez cristalline et impassible, sans cette hantise hallucinée ou de la ferveur jaillissante qu'y instillaient un dans son enregistrement légendaire en compagnie d' (Warner) ou, moins connu, mais pourtant sublime, une avec (DGG), pour nous limiter à deux références historiques incontournables.

En conclusion, si la réalisation pianistique est techniquement assez irréprochable, si la phalange américaine offre une réplique brillante, parfois trop, nos interprètes trahissent l'esprit, voire parfois la lettre de ces deux chefs-d'œuvre. Voilà donc un enregistrement globalement assez inabouti des deux concerti ravéliens au sein d'une discographie pléthorique et très relevée.

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Maurice Ravel (1875-1937) : concerto en sol pour piano et orchestre M.83; concerto » pour la main gauche » pour piano et orchestre en ré majeur, M.82. Seong-Jin Cho, piano. Boston symphony orchestra, Andris Nelson, direction. 1 CD Deutsche Grammophon. Enregistré au Boston symphony hall en avril et mai 2023 ( concerto en sol) et en janvier 2024 (concerto pour la main gauche). Notice de présentation en anglais et français. Durée : 40:59

 
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