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À l’Opéra Bastille, un Don Carlos de trop…

Créée en 2017 en version française, ce Don Carlos de Verdi mis en scène par Krysztof Warlikowski, repris en 2019 dans sa version italienne, fait une fois encore l'objet d'une nouvelle reprise sur la scène de l'Opéra Bastille. Et si c'était une de trop…

On ne contestera pas l'intérêt musicologique de cette version princeps de 1866, très rarement donnée. Jugée trop longue et ne comportant pas de ballet, dut la modifier en y faisant de nombreuses coupures avant sa création Salle Le Peletier le 11 mars 1867. Heureuses réductions qui eurent également pour effet d'en acutiser la dramaturgie. Reste que pour une version française, réduite ou non, mieux vaut des chanteurs francophones capables d'assumer la diction et la prosodie française, ce qui n'est pas le cas de cette production très décevante vocalement…

Les différents Don Carlo(s) se suivent mais ne se ressemblent pas. Inaugurée en 2017 avec une distribution de rêve qui regroupait tous les meilleurs chanteurs du moment, la constatation est, ce soir, bien amère devant un casting inhomogène, de qualité pour le moins aléatoire, alignant le bon et le moins bon. Dans le rôle-titre , fait un assez piètre Don Carlos (conformément à la réalité historique), veule scéniquement, suicidaire, et sans éclat vocalement, dont le chant ne parvient pas à passer la rampe dans la grande nef de Bastille, dès son premier air, assez piteux, dans la forêt de Fontainebleau. Face à lui, dans un saisissant contraste, , pour sa prise de rôle, campe une Elisabeth de belle tenue vocale et scénique : aigus crânement assurés, puissance, legato, ligne de chant parfaitement maitrisée, haute en couleurs, et souffle infini. , seule rescapée de la production de 2017 est une indiscutable titulaire du rôle d'Eboli dont elle assume avec aisance toutes les chausse trappes grâce à sa tessiture étendue, nous gratifiant d'un ardent « Ô don fatal ! » Plus discutable le Rodrigue de Andrzej Filonczyk qui peine à convaincre, malgré sa présence scénique, du fait d'une ligne de chant assez instable et d'une diction déplorable. Même critique pour le Philippe II de , personnage complexe, dépressif et alcoolique, mêlant avec bonheur doute, autorité et faiblesse, mais décevant vocalement par son manque de graves et sa diction approximative qui pénalisent lourdement son célèbre « Elle ne m'aime pas » annoncé par un superbe solo de violoncelle, ainsi que son duo très attendu avec le Grand Inquisiteur d' où le dramatisme fait cruellement défaut. Par ailleurs, on retiendra les belles prestations des personnages secondaires : en Thibault pétillante et bien chantante et en moine à la basse profonde impressionnante, sans oublier l'excellent chœur de l'opéra préparé par Ching-Lien Wu.

Si la mise scène avait en son temps soulevé des passions, ce n'est plus le cas aujourd'hui : le temps a fait son œuvre et la lecture très psychologique proposée par Warlikowski parait, au demeurant, bien sage, peu dérangeante, mais malheureusement peu signifiante, s'appuyant sur une scénographie épurée et une direction d'acteur limitée au strict nécessaire.

Dans la fosse, le bilan n'est pas plus positif, participant largement de la morosité et de l'ennui qui gagnent, en arguant d'un phrasé sans éclat qui, loin de soutenir la dramaturgie, se contente d'accompagner les chanteurs. Dommage…

Crédit photographique : © Franck Ferville / Opéra national de Paris

 

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