Chostakovitch, Weinberg et Mirzoyan au prisme de la censure soviétique
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« Censored Anthems ». Dimitri Chostakovitch (1906-1975) : Adagio tiré de Lady Macbeth de Mtsensk. Mieczysław Weinberg (1919-1996) : Concertino pour violon et orchestre à cordes op. 42. Edward Mirzoyan (1921-2012) : Symphonie pour orchestre à cordes et timbales. Parlando, direction : Ian Niederhoffer. 1 CD Delos. Enregistré les 16 et 17 aoûte 2023 au Kaufman Music Center, et les 18 mars et 25 juin 2024 au Swan Studios, New York. Notice de présentation en anglais. Durée : 74:47
DelosQuel est le rapport entre Chostakovitch, Weinberg et Mirzoyan ? Voilà une question qui, si elle était posée au bac de musique, en laisserait plus d'un dubitatif. La réponse est dans le titre de l'album du jeune ensemble Parlando et de son chef Ian Niederhoffer : les hymnes censurés.
La censure cherche en effet avant tout à contrôler les arts dès sa mise en place, la maîtrise des moyens de communication – écrits, visuels ou auditifs – s'adressant aux foules étant vitale en ce qui concerne la maintenance et la survie des régimes autoritaires ou démocratiques. Ainsi, des trois compositeurs choisis pour cet enregistrement, aucun n'a échappé, de près, très près ou plus loin, à la surveillance d'un régime omniprésent prêt à tout pour plier les créateurs à ses exigences dogmatiques. Travailler en Union soviétique, oui, mais pas n'importe comment. Dès lors, quel pli prendre, et surtout comment s'exprimer dans ce contexte tendu ? Renier son art, son moi, pour vivre, ou faire de la résistance et survivre – au mieux – voire risquer purement et simplement sa vie ? De Chostakovitch, Weinberg ou Mirzoyan, chacun a trouvé sa voie. Chostakovitch n'a cessé de louvoyer et a fait de la résistance en musique toute sa vie, Weinberg s'est adapté en attendant mieux, tout comme Mirzoyan. Mais ce qui est intéressant pour nous, avec le recul du temps, c'est qu'aucun ne s'est tu. Lady Macbeth de Chostakovitch a failli lui coûter très cher ; il n'a dû sa survie artistique qu'avec sa Symphonie n°5, et matérielle qu'en écrivant des musiques de films. Moins connus, les déboires de Weinberg, installé en Union soviétique en 1939 après avoir fui sa Pologne envahie par les nazis, s'est retrouvé persécuté par le KGB. Sa musique s'est alors adaptée : il ne gagna sa vie qu'en écrivant lui aussi des musiques de films et de cirque. Le Concertino pour violon et cordes date de cette période. Mirzoyan, appartenant à la minorité ethnique des Arméniens, fils d'un survivant du génocide, se voit contraint de russifier son style dans le but de créer un art idéologiquement soviétique et par là-même subit la critique ouverte de ses collègues arméniens, ne comprenant pas le nivellement musical auquel il avait été soumis à Moscou. Sa Symphonie pour cordes et timbales témoigne d'un « retour aux sources » : elle est presque entièrement écrite sur des thèmes du folklore arménien. Belle revanche.
Malgré la rareté du répertoire proposé ici, il n'en est pas pour autant une première mondiale. Le fondateur, violoniste et chef d'orchestre américain Ian Niederhoffer a fondé son ensemble Parlando en 2019. Son premier disque réussit son programme thématique des musiques censurées, inscrit dans une dynamique rappelant Bernstein et ses conférences pédagogiques sur la musique (on l'entendra développer son propos dans les trois dernières plages en anglais du présent album). La jeune violoniste américaine Aubree Oliverson, comparée à ses concurrents, donne une prestation fondue dans l'orchestre et non pas solistique ; on pourrait croire qu'elle tient le 1er violon de l'ensemble tant son jeu souple fusionne avec les autres cordes sans chercher à prendre la vedette. Il est à ce titre beaucoup moins marqué que Linus Roth, grand spécialiste de Weinberg. Les cordes de l'ensemble Parlando offrent également une énergique version de la symphonie de Mirzoyan, d'allure plutôt néo-classique, avec un timbalier très présent et par moments déchaîné, les quatre mouvements illustrant parfaitement les racines maltraitées mais vivantes de son peuple. On peut s'étonner d'une pochette toute à l'effigie stylisée de Chostakovitch, représenté par seulement cinq minutes dans ce programme. Mais il est vrai qu'il endosse à lui tout seul toute l'ambiguïté artistique de cette époque.
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« Censored Anthems ». Dimitri Chostakovitch (1906-1975) : Adagio tiré de Lady Macbeth de Mtsensk. Mieczysław Weinberg (1919-1996) : Concertino pour violon et orchestre à cordes op. 42. Edward Mirzoyan (1921-2012) : Symphonie pour orchestre à cordes et timbales. Parlando, direction : Ian Niederhoffer. 1 CD Delos. Enregistré les 16 et 17 aoûte 2023 au Kaufman Music Center, et les 18 mars et 25 juin 2024 au Swan Studios, New York. Notice de présentation en anglais. Durée : 74:47
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