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Julian Prégardien à Strasbourg : la magie du souffle dans le Lied

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Strasbourg. Opéra du Rhin. 27-III-2025. Robert Schumann (1810-1856) : Liederkreis op. 39, Der arme Peter op. 53 ; Gustav Mahler (1860-1911) : Lieder eines fahrenden Gesellen ; Maurice Ravel (1875-1937) : Cinq mélodies populaires grecques. Julian Prégardien, ténor ; Anna Gerbhardt, piano.

Dans un Liederabend essentiellement romantique, démontre que l'art du chant, en matière de Lied, surpasse les seules qualités vocales.

, c'est un legato, un souffle et quelle distinction dans ses choix interprétatifs! Et c'est à bon escient qu'il choisit le répertoire du Lied, Mozart, Bach, bien adaptés à son volume et à son timbre.

Sans surprise, c'est dans le répertoire allemand que fait les plus belles choses, et son Liederkreis op. 39 de Schumann est particulièrement abouti. « In der Fremde » commence avec une voix blanche, déjà épuisée par un ancien désespoir, et tout le reste du cycle est chanté comme au-delà de l'émotion. Cette ambiguïté, qu'on avait déjà relevée dans son remarquable Schwanengesang en CD, crée un effet fascinant. Ce n'est pas de la neutralité, c'est du dépassement de l'émotion et de la souffrance au premier degré, et ce dépassement-là est lui-même créateur d'une autre émotion, plus subtile, légère, mais prégnante. Ça, cette sobriété hantée, c'est du très grand art. Sa capacité à timbrer, à détimbrer est bien mise à contribution dans Waldesgespräch, et son Mondnacht démontre, s'il le fallait encore, comment on peut étirer une ligne de chant et susciter une impression d'infini, par la maîtrise du souffle et du legato. Son élocution est transparente sans être excessivement appuyée, et chaque mot se comprend. Il ose parfois des murmures à la limite du Sprechgesang (Die Stille) qui portent, encore et toujours, des émotions fines et intenses. Chaque Lied est un grand moment, et l'ensemble du cycle construit une épopée intérieure d'une richesse admirable. Un très grand Liederkreis, en tout cas un des plus beaux qu'on ait pu entendre dans cette salle.

Der arme Peter du même Schumann se situe au même niveau, celui des sommets, que le Liederkreis. Là aussi, notre ténor peut s'appuyer confortablement sur le tapis sonore lumineux, perlé, que lui déploie sa jeune accompagnatrice avec un excellent Steinway. Avec Mahler, les choses semblent un peu moins simples, car cette fois-ci, il faut pouvoir extérioriser, presque crier le désespoir. Même si on le sent à la limite de ses moyens, Julian Prégardien y parvient, et efficacement. Le dramatisme est porté au rouge, et quand on arrive sous le tilleul, quel soulagement, quelle lumière… ! Là encore, la réussite est totale.

C'est sans doute par gentillesse que Julian Prégardien veut chanter du répertoire français aux Français, et c'est forcément une prise de risque. Son élocution est très satisfaisante, mais le style est discutable. Certains appuis sont excessifs et tirent vers l'expressionisme. Si la Chanson de la mariée est d'une belle timidité, le galant incomparable devient un butor et le Tout gai ! est franchement aviné. Ce n'est pas déplacé, mais le curseur du goût pourrait être mieux positionné, avec un petit peu plus de retenue. Et de toute façon, à quelqu'un qui fait une Chanson des cueilleuses de lentisques aussi évanescente, on pardonne tout.

A ce programme officiellement annoncé, Julian Prégardien et font de nombreux et généreux ajouts. Avant l'entracte, un délicieux Viens ! de frémissant de désir, une Lorelei de et Ich wandle unter Blumen d'. En guise de bis, encore deux Schubert, Im Frühling et Frühlingsglaube, bien de saison, et encore une fois chantés sur le souffle, infiniment délicats et merveilleux de poésie.

Crédit photographique © Peter Rigaud

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Strasbourg. Opéra du Rhin. 27-III-2025. Robert Schumann (1810-1856) : Liederkreis op. 39, Der arme Peter op. 53 ; Gustav Mahler (1860-1911) : Lieder eines fahrenden Gesellen ; Maurice Ravel (1875-1937) : Cinq mélodies populaires grecques. Julian Prégardien, ténor ; Anna Gerbhardt, piano.

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