Daniele Gatti, Mahler et le National : retrouvailles pour un adieu
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Paris. Maison de la Radio et de la Musique. Auditorium. 28-III-2025. Gustav Mahler (1860-1911) : Symphonie n° 9 en ré majeur (1909). Orchestre National de France, direction : Daniele Gatti
Mahlérien fervent, Daniele Gatti retrouve le « National » pour la Symphonie n° 9 de Gustav Mahler, véritable symphonie des adieux …
Symphonie-monde, ultime étape achevée du corpus symphonique de Gustav Mahler, symphonie récapitulative et testamentaire qui sera créée en 1912, à titre posthume par Bruno Walter, sans que le compositeur viennois n'ait pu échapper à la malédiction des « neuvièmes » ayant touché Beethoven, Schubert et Bruckner avant lui. Cette œuvre grandiose s'inscrit, ce soir, dans une carte blanche donnée le temps de trois concerts à Daniele Gatti par l'Orchestre National de France dont il fut le directeur musical entre 2008 et 2016. Il est classique de considérer que cette ultime symphonie commence là où se terminait le Chant de la Terre, l'Adagio final de l'une répondant à l'Abschied de l'autre, nous invitant à l'acceptation, au silence et à la paix, conditio sine qua non de l'accession aux horizons bleutés libérateurs qui ouvrent sur l'éternité, vers lesquels la quête mahlérienne n'a jamais cessé de tendre.
Elle prolonge le murmure final du « Chant de la Terre », symphonie d'adieu à la vie, d'adieu à son œuvre, d'adieu à la symphonie, récapitulative du monde mahlérien, sa structure est atypique avec deux mouvements lents encadrant un mouvement de danses et un Rondo Burlesque. Plus qu'un très romantique et prémonitoire sentiment d'une mort prochaine, il semble plutôt que Mahler ait pris conscience et accepté la désaffection d'Alma. L'adieu est ici plus métaphorique que réel : il s'agit d'une méditation sur le destin, auquel nul homme n'échappe, en même temps que l'affirmation de la douleur de perdre à jamais l'être aimé.
Quatre mouvements jalonnent ce douloureux parcours très spiritualisé que Daniele Gatti dirige sans partition pour nous livrer une interprétation en tout point remarquable, puissante et émouvante, servie par un « National » brillant de tous ses pupitres. Complexe, bien souvent malmené, lieu de toutes les craintes et de tous les périls, le premier mouvement Andante comodo est parfaitement négocié, évitant tout éparpillement, conduit avec une justesse et une cohérence qui conjuguent une lecture très analytique et la continuité sans faille d'un discours tendu, habité d'un lyrisme tourmenté, riche en contrastes, en couleurs (silences habités, sentiment d'attente ou d'angoisse, dramatisme des trombones) et en nuances dynamiques et rythmiques qui s'enchaînent dans des transitions bien marquées. On est séduit par la pertinence de la direction, par la clarté et la précision de la mise en place des différents plans sonores, parfaitement hiérarchisés (contrechants de cor d'Hervé Joulain), par les performances solistiques superlatives (cordes et violon solo de Luc Héry, flute et petite harmonie, cor et harpe) autant que par l'équilibre souverain entre les différents pupitres. Ouvert par le basson le Scherzo déroule un Ländler sautillant et confortable (cordes, cor et petite harmonie) mêlant la rusticité des vents à l'élégance des cordes ; suit une valse tourbillonnante envoutante et quelque peu bancale, avant la reprise du Ländler qu'on aurait aimée peut-être moins jubilatoire mais plus nostalgique. Le Rondo-Burleske, très énergique et rythmique, d'une belle ampleur, teinté de dramatisme, bénéficie d'une parfaite lisibilité entre cuivres, cordes et petite harmonie, mais il manque un rien de grinçant, curieusement interrompu en son mitan par un court épisode durant lequel le tissu orchestral s'allège qui ne laisse subsister que le chant de l'alto, de la harpe et de la flute, pour s'achever fortissimo dans une reprise du tutti. Entamé par les cordes au legato sublime, dans un lamento d'un lyrisme intense, l'Adagio final chante la douleur d'un amour perdu (celui d'Alma) plus qu'un hypothétique pressentiment d'une mort prochaine ; chant d'acceptation serein, sans angoisse ni pathos, qui répond aux interrogations du premier mouvement, on y admire l'exceptionnelle tension des cordes, les nuances dynamiques, la profondeur d'intonation, avant que la coda annoncée par le violoncelle solo de Raphaël Perraud ne nous ouvre les portes d'un autre monde sur des pianissimi suspendus, à peine audibles…
Crédit photographique : © Astrid Ackermann
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Paris. Maison de la Radio et de la Musique. Auditorium. 28-III-2025. Gustav Mahler (1860-1911) : Symphonie n° 9 en ré majeur (1909). Orchestre National de France, direction : Daniele Gatti