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Salle comble pour Boulez et Lachenmann avec Simon Rattle et la Radio bavaroise

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Munich. Herkulessaal. 22-III-2025. Pierre Boulez (1925-2016) : Cummings ist der Dichter pour choeur et orchestre ; Luciano Berio (1925-2003) : Laborinthus II pour voix, instruments et bande ; Helmut Lachenmann (né en 1935) : Harmonica, musique pour grand orchestre avec tuba. Stefan Tischler, tuba ; Chœur et Orchestre symphonique de la Radio bavaroise, direction : Simon Rattle

Dans la vénérable série Musica viva de la Radio bavaroise, on célèbre le centenaire de la naissance de Boulez et Berio, mais Lachenmann, 90 ans seulement, fait l'unanimité.

L'année 2025 marque le centenaire de la naissance de , on en parle beaucoup (mais jamais assez) ; c'est aussi le centenaire de celle de qui, lui, passe pour ainsi dire inaperçu. La confrontation de deux de leurs œuvres en première partie de ce concert montre sans ménagement combien cette différence de traitement est justifiée.

Cummings ist der Dichter est loin d'être l'œuvre la plus connue et la plus immédiatement gratifiante de Boulez, et ce concert, avec un chœur aussi remarquable que celui de la Radio bavaroise, est une occasion idéale pour revenir à cette œuvre un peu marginale dans sa production, ne serait-ce que, justement, par la présence du chœur. Le texte – autant graphique que lexical – de Cummings qui en est le centre est un bel alter ego de l'art de Boulez : il ne s'agit pas d'une simple (et impossible) mise en musique, mais d'une mise en espace sonore d'une pluralité de niveaux poétiques. Le Chœur de la Radio bavaroise fait merveille dans une œuvre qui lui permet de démontrer sa versatilité, avec un sens aigu des textures sonores : l'interaction de ses sonorités avec les couleurs orchestrale est souvent à couper le souffle.

Laborintus II de Berio, au contraire, témoigne cruellement du passage du temps. Il faut dire que son exécution lors de ce concert souffre d'un handicap considérable : la voix parlée est ici celle de l'actrice-chanteuse québécoise Marie Goyette, qui fait des efforts très visibles et vains sur la prononciation italienne, ce qui la conduit plus d'une fois à buter sur les mots, avec un accent francophone sous-jacent qu'on n'arrive jamais à oublier. L'extériorité complaisante de la pièce est encore soulignée par quelques moments où le concert prend un aspect semi-scénique, avec les déhanchements des solistes vocaux et les déplacements de l'actrice et de lui-même : certes, l'aspect visuel de la pièce est prévu, anticipé par ses concepteurs eux-mêmes, mais l'effet en est ici plutôt dérisoire, a fortiori dans le cadre si terne de la Herkulessaal. La pluralité stylistique qui passait, à l'époque de sa composition, pour le septième centenaire de la naissance de Dante (1965), pour le comble du chic après les mondes sonores inouïs créés dans les décennies précédentes, est tout aussi dérisoire, y compris l'hommage au jazz qui est un passage obligé de l'époque. se met avec enthousiasme au service de la partition, et il navigue avec aisance entre les différentes couches sonores superposées par Berio – l'orchestre, la récitante, les trois voix solistes, l'ensemble vocal et la bande, mais ne parvient pas à donner une nécessité à une partition très loin des meilleures œuvres de son auteur.

Heureusement, on retrouve après l'entracte une œuvre autrement consistante : Harmonica de , « musique pour grand orchestre avec tuba », écrite au début des années 1980, ne se perd pas en vaines gesticulations, mais illustre la pensée musicale radicale de Lachenmann sans jamais se départir de cette malice qui le caractérise dans le jeu avec l'écoute de l'auditeur. La partie de tuba, nous dit-on, a été composée après la partie d'orchestre, c'est dire que Lachenmann ne joue pas le jeu du concerto virtuose avec instrument-star : sa partition est tout sauf facile pour le soliste, et elle est gratifiante, mais il est plutôt le compagnon de l'orchestre que le centre de l'attention. On se perd donc avec délices dans l'écriture orchestrale de Lachenmann, cette expérience auditive pleine de chausses-trappes et de faux-semblants, mais on n'oublie pas d'écouter ce commentaire qui réinvente sans cesse sa relation au discours orchestral. La direction de Rattle vise ici visiblement la précision plus que le brio, ce qui peut se comprendre avec un orchestre qui n'est pas un ensemble spécialisé ; le soliste Stefan Tischler, qui est titulaire dans l'orchestre, livre quant à lui une belle démonstration de toutes les potentialités de son instrument. L'enthousiasme du public est au rendez-vous quand le compositeur se présente aux saluts.

Crédits photographiques : © Astrid Ackermann

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Munich. Herkulessaal. 22-III-2025. Pierre Boulez (1925-2016) : Cummings ist der Dichter pour choeur et orchestre ; Luciano Berio (1925-2003) : Laborinthus II pour voix, instruments et bande ; Helmut Lachenmann (né en 1935) : Harmonica, musique pour grand orchestre avec tuba. Stefan Tischler, tuba ; Chœur et Orchestre symphonique de la Radio bavaroise, direction : Simon Rattle

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