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Vienne. Wiener Staatsoper. 23-III-2025. Giuseppe Verdi (1813-1901) : Don Carlo, version milanaise en quatre actes de 1884 sur un livret de Joseph Méry et Camille Du Locle d’après Schiller. Mise en scène de Kirill Serebrennikov. Avec : Roberto Tagliavini, Philippe II ; Joshua Guerrero, Don Carlo ; Etienne Dupuis, Rodrigo ; Vitalij Kowaljow, le Grand Inquisiteur ; Nicole Car, Elisabetta ; Elīna Garanča, Eboli. Orchestre et chœur du Wiener Staatsoper, direction : Philippe Jordan
Après plusieurs années d'absence, Don Carlo de Verdi fait son retour sur la scène du Staatsoper de Vienne dans sa version dite italienne en 4 actes, dans une mise en scène complexe et peu convaincante de Kirill Serebrennikov, mais servie par une belle distribution vocale.
La dernière apparition viennoise de l'opéra de Verdi remonte à 2012, dans sa version originale française en 5 actes (avec ballet) de 1867. Pour l'heure, c'est la version italienne en 4 actes de 1884 choisie pour ouvrir la saison 2024/2025 qui nous est proposée ce soir. Don Carlo(s) est un opéra à géométrie variable, aussi n'est-il peut-être pas inutile de refaire un rapide point sur les différentes versions de cet opéra iconique de Giuseppe Verdi. Schématiquement et pour l'essentiel : Don Carlos est une commande de l'opéra de Paris faite en 1867 à l'occasion de l'Exposition Universelle (version 1867 avec ballet). La première version italienne de Don Carlo est celle de Milan, en 4 actes, créée en 1884 à la Scala : Verdi y incorpore quelques retouches. La seconde version italienne est celle de Modène, datant de 1886, qui reprend les modifications faites à Milan, mais revient aux 5 actes initiaux. Une dernière remarque : il n'existe pas à proprement parler de version italienne, mais plutôt une version française traduite en italien ! D'où quelques difficultés d'ordre prosodique entachant l'adéquation entre paroles et musique dans la version transalpine…
Après leur première rencontre, Don Carlo et Elisabeth tombent amoureux. À la surprise générale, le roi d'Espagne Philippe II annonce vouloir épouser Élisabeth. Élisabeth, contrainte, accepte, invoquant la raison d'État et repousse l'Infant. Le Marquis Posa, libéral, conseille à son ami Don Carlo, désespéré, de s'éloigner et de s'engager politiquement pour un avenir meilleur en Flandre, occupée par les troupes espagnoles. Une décision qui ne manquera pas de lui attirer les foudres du Roi et de l'Inquisition.
Au travers des amours contrariées d'Elisabeth et de l'infant Don Carlos, dans la lutte contre le pouvoir despotique de Philippe II et contre l'autorité ecclésiastique dictatoriale de l'Inquisition, Verdi se livre à un virulent plaidoyer pour la liberté (rappelons que l'Italie est alors en partie occupée par l'Autriche), une liberté revendiquée haut et fort par l'Infant face à son père. Occasion rêvée pour Kirill Serebrennikov, formidable conteur (Parsifal, Vienne 2021, Lohengrin, Paris 2023) lui-même condamné à l'exil par le régime autocratique de Vladimir Poutine, d'actualiser le débat en l'élargissant à la sauvegarde de la planète, à la lutte contre la déforestation, contre le consumérisme abusif et au combat contre le capitalisme… Curieusement ce plaidoyer méritoire et militant se construit autour du « costume » (?), ancien et contemporain : dès lors se dessine une dichotomie entre les gueux, les exploités, les laissés pour compte et les capitalistes, exploiteurs somptueusement vêtus. Hélas, pour s'en tenir à cette grille de lecture un peu manichéenne, déjà utilisée à de nombreuses reprises par d'autres (on pense évidemment à Chéreau), Kirill Serebrennikov n'hésite pas à transformer l'Escurial en un très moderne laboratoire de conservation de costumes historiques du XVIe siècle où travaillent en costumes contemporains Philippe II, Don Carlo, Elisabeth, Eboli et Posa… Cela ne suffisant probablement pas, Serebrennikov complexifie à l'envi son propos en introduisant entre costume historique et costume contemporain un troisième type de costume intermédiaire noir, sorte de chrysalide (en fait patrons de couture en voie de réalisation) figurant le fait que, bien que marqueur social, le costume est aussi une entrave à la liberté, un carcan auquel les personnages tenteront d'échapper. Dès lors la démonstration devient de plus en plus absconse, qui se perd en conjectures oiseuses, en mises en abyme et avatars multiples et incompréhensibles, dans une confusion faite de déshabillages incessants, de didascalies historiques et de vidéo sans grand intérêt, en constant décalage avec le livret ! En bref, une mise en scène comme une fausse bonne idée malgré une direction d'acteurs bien réglée, où seul Posa réussit à échapper à la ronde infernale des costumes, car figurant, dans cette lecture, l'homme des Lumières, sincère et libéral, intègre et sans faux semblants.
Fort heureusement, la musique, orchestre et chanteurs, nous offre ce que la mise en scène nous refuse obstinément. La distribution vocale reprend pour l'essentiel celle de l'ouverture de saison, mis à part Nicole Car qui remplace Asmik Grigorian, Elīna Garanča à la place de Eve-Maud Hubeaux, tandis que Vitalij Kowaljow se substitue à Dmitry Ulyanov.
Dans le rôle-titre, Joshua Guerrero est un Don Carlo bien chantant malgré des aigus parfois un peu serrés, donnant toute sa superbe dans les duos avec Posa et Elisabeth. Nicole Car (Elisabeth) met joliment en adéquation ramage et plumage, nous gratifiant d'un timbre radieux et d'un somptueux legato. Elīna Garanča, habituée du rôle d'Eboli qu'elle a chanté sur toutes les scènes d'opéra, renouvelle ce soir une prestation sans accrocs tant vocalement que scéniquement, vipérine à souhait, avec des aigus dardés. Roberto Tagliavini, qui oscille entre douleur et colère nous offre un très émouvant « Ella giammai m'amò! », tandis que son duo avec le grand Inquisiteur est pénalisé par le manque de grave de Vitalij Kowaljow. Combinant subtilement résignation et puissance, Étienne Dupuis, en Posa, est sans aucun doute le grand triomphateur de la soirée. Dan Paul Dumitrescu (le moine), Ilia Staple (Tebaldo) et Hiroshi Amako (Lerma) complètent cette belle distribution homogène.
Dans la fosse, pour l'une de ses dernières apparitions au Staatsoper (il rejoindra bientôt l'Orchestre National de France comme directeur musical à Paris), Philippe Jordan conduit avec fougue un orchestre viennois dont il serait superflu de rappeler toute la superbe, toujours en parfait accord avec la dramaturgie, dans un équilibre parfois un rien précaire avec les chanteurs. Le magnifique Chœur du Staatsoper parachève avec bonheur cette nouvelle production viennoise dont la lecture scénique nous laisse quelque peu perplexe.
Crédit photographique : © Michael Pöhn / Wiener Staatsoper
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Vienne. Wiener Staatsoper. 23-III-2025. Giuseppe Verdi (1813-1901) : Don Carlo, version milanaise en quatre actes de 1884 sur un livret de Joseph Méry et Camille Du Locle d’après Schiller. Mise en scène de Kirill Serebrennikov. Avec : Roberto Tagliavini, Philippe II ; Joshua Guerrero, Don Carlo ; Etienne Dupuis, Rodrigo ; Vitalij Kowaljow, le Grand Inquisiteur ; Nicole Car, Elisabetta ; Elīna Garanča, Eboli. Orchestre et chœur du Wiener Staatsoper, direction : Philippe Jordan
Vous étiez à Vienne pour ce Don Carlo, qu’on a d’ailleurs pu voir sur Arte en septembre avec Grigorian.
Laquelle a donné en février / mars au Theater an der Wien une Norma absolument fabuleuse de théâtre musical ( dixit Wagner..)
À ma connaissance , vous n’avez pas rendu compte de cette production d’anthologie ( également sur Arte ).
Et au même moment à l’opéra d’Etat on donnait une autre Norma avec Lombardi et Florez..