Un testament monteverdien jubilatoire par Vincent Dumestre et le Poème Harmonique

Avec son Poème Harmonique, Vincent Dumestre nous offre une prestation inédite et magistrale de vêpres mariales imaginaires, telles que Monteverdi aurait pu diriger à la fin de sa vie.

Cette magnifique réalisation n'est en aucun cas la reconstitution d'un office perdu, comme Monteverdi en a composé et dirigé des centaines au cours de sa carrière, mais il s'agit d'une habile compilation, agencée par Vincent Dumestre de psaumes, hymne et Magnificat, puisés dans les dernières publications sacrées de Monteverdi, la monumentale Selva morale et spirituale de 1640 et le recueil posthume de 1650. Des vêpres imaginaires en quelque sorte, mais dans une réalisation haut de gamme, comme il sied au grand Claudio, alors qu'il était maître de chapelle à la basilique Saint-Marc pendant les trente dernières années de sa vie.

Puisant dans l'inépuisable Selva Morale et cet ultime recueil posthume, Vincent Dumestre suit quelque part, à sa façon, le chemin qu'empruntait Françoise Lasserre avec son Akademia, l'Ensemble vocal régional de Champagne Ardennes et La Fenice de Jean Tubery en 1996 à Fontevraut pour une reconstitution imaginée du Vespro per La Salute (Pierre Verany PV797031/32). Le présent enregistrement constitue une sorte de testament du maître vénitien, utilisant le meilleur de sa production dans ses dernières années.

En soixante ans de création, Claudio Monteverdi aura composé une œuvre monumentale, sacrée pour la plus grande partie, et nous ne retenons que trois opéras, huit livres de madrigaux, quelques messes et le célèbre Vespro della Beata Vergine de 1610. Or, tout au long de ces décennies, entre ses postes à Mantoue, Crémone et Venise, il a dû composer et diriger quelque trois à quatre cents vêpres mariales pour les huit fêtes en l'honneur de la Vierge, qui ponctuent l'année liturgique.

Selon la structure du Vespro della Beata Vergine de 1610

On retrouve ici les cinq psaumes, l'hymne et le Magnificat, mais Vincent Dumestre omet les antiennes grégoriennes, qui inscrivaient l'ouvrage dans un contexte liturgique. Il introduit également des œuvres spirituelles, qui n'étaient pas destinées à l'office, comme la parodie d'un madrigal du Cinquième livre (Stabat Virgo Maria) et le Pianto della Madonna n'est autre qu'une variation mélodique en pasticcio du fameux Lamento d'Arianna. Avec une voix limpide d'une grande expressivité doloriste, décrivant la souffrance de la Vierge, Eva Zaïcik y fait des merveilles, nous offrant une vive émotion en un moment de grâce suspendue.

Selon le modèle des Vêpres de la Bienheureuse Vierge Marie de 1610, après les psaumes, il intègre des motets et des concerti sacri, qui fusionnent spiritualité et sensualité.

Deux pièces manquent à cet assemblage, qui ne figurent ni dans le recueil de 1641, ni dans le recueil posthume de 1650, l'hymne et l'introït Deus in adjutorium. Pour l'hymne, Vincent Dumestre a habilement reconstitué avec ses musiciens l'Ave Maria Stella, qu'il agrémente d'amples ornementations. La recomposition du Deus in adjutorium emprunte au madrigal Altro Canti d'Amorbrillamment coloré en style concitato, faisant penser à certains passages vigoureux de l'Orfeo.

On apprécie au plus haut point le faste des ornementations instrumentales (quel orchestre !) avec des cuivres (trombones, cornets) et des basses de cordes (doulciane, lirone, théorbes, violoncelle, contrebasse) rutilants, qui s'associent au mieux avec le chœur et les voix solistes. Tout ici est admirable de maîtrise et de ferveur.

La prosodie des voix masculines est remarquable de justesse, ornementant superbement, sans maniérisme dans les accentuations. Les entrelacs des ténors Paco Garcia et Cyril Auvity nous enchantent dans le duo introductif du Laudate pueri, magistralement repris par les basses Victor Shapovalov et Romain Backler soutenus par les trombones, tandis qu'Eva Zaïcik et Perrine Devillers développent un timbre d'une pure clarté et d'une douce limpidité.

Tout au long de l'ouvrage, on est saisi par la symbiose magistrale entre le chœur, l'orchestre et les solistes, ne serait-ce que dans le Beatus vir du Nisi Dominus secundo ou le Magnificat primo final.

Avec élégance, style et panache, Vincent Dumestre a subtilement agencé ces pièces tardives de Monteverdi, ayant même recomposé quelques parties et il dirige l'ensemble avec la précision et la jubilation qui lui sont coutumières.

L'édition de l'album Château de Versailles Spectacles est des plus soignées avec une introduction de Vincent Dumestre et une passionnante notice signée par Matthieu Franchin, musicologue, claveciniste et directeur de l'ensemble Le Grand Ballet. Les illustrations, La Madone des pèlerins du Caravage pour la 1^ère de couverture et un détail de l'Assomption de la Vierge du Titen pour la 4^e, présentent une parfaite adéquation avec le contenu musical de l'album.

Ce testament musical constitue un magnifique hommage au dernier Monteverdi.