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Strasbourg : La Traviata sur le dance floor

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Strasbourg. Opéra national du Rhin. 24-III-2025. Giuseppe Verdi (1813-1901) : La Traviata, opéra en trois actes sur un livret de Francesco Maria Piave, d’après le roman La Dame aux Camélias d’Alexandre Dumas fils. Mise en scène : Amélie Niermeyer. Décors et costumes : Maria-Alice Bahra. Lumières : Tobias Löffler. Chorégraphie : Dustin Klein. Avec : Martina Russomanno, Violetta Valéry ; Amitai Pati, Alfredo Germont ; Vito Priante, Giorgio Germont ; Bernadette Johns, Flora Bervoix ; Ana Escudero, Annina ; Michal Karski, Docteur Grenvil ; Massimo Frigato, Gaston de Letorières ; Pierre Gennaï : Baron Douphol ; Carlos Reynoso : Marquis d’Obigny ; Namdeuk Lee, Giuseppe ; Burak Karaoglanoglu, un Domestique de Flora Roman Modzelewski : un Commissionnaire. Chœur de l’Opéra national du Rhin (Chef de chœur : Hendrik Haas), Orchestre national de Mulhouse, direction : Christoph Koncz.

Si, à l'Opéra national du Rhin, La Traviata touche au cœur malgré la transposition inutilement trash et tristement banale de sa metteuse en scène , c'est grâce à la composition pleinement aboutie de son interprète principale et la direction toujours juste de .

Coproduite avec l'Opéra de Dijon, où elle fut étrennée il y a tout juste un mois, La Traviata de Verdi imaginée par arrive à l'Opéra national du Rhin avec une nouvelle distribution. Avec l'aide de Maria-Alice Bahra aux décors et costumes et de Tobias Löffler aux lumières, la metteuse en scène allemande nous impose un énième avatar du Regietheater en plaçant toute l'action au sein du Berghain, le mythique club branché berlinois, où Violetta en reine de la nuit et la jeunesse dorée de ses amis viennent s'étourdir de musique, de danse, de champagne, de drogue et de sexe et dont même Germont père prend les traits du videur Sven Marquardt. Rien n'est omis dans cette scénographie déjà cent fois vue et qui n'apporte rien d'autre qu'une maladroite contemporanéité : murs bruts de béton, éclairages agressifs, déhanchements lascifs d'une faune interlope aux costumes queer ou cuir tendance BDSM.

Dans cet univers peu attrayant au premier acte, apporte toutefois des éléments qui font sens. La retraite campagnarde de Violetta et Alfredo au premier tableau du second acte n'est ainsi qu'un décor dans une salle annexe du Berghain, où l'immense toile peinte « Paysage en Italie » de Richard Wilson donne l'illusion du bucolique et où les deux tourtereaux jouent un simulacre d'amour romantique. Lors du douloureux retour à la réalité, cette toile sera violemment arrachée. Au tableau suivant, la brutalité d'Alfredo est remarquablement traduite et glace d'effroi quand il paye Violetta en bourrant son soutien-gorge et sa culotte de billets de banque. Au dernier acte, la fête est finie et chacun cuve dans son coin les séquelles de ses débordements. Violetta en est la première victime et, malgré la présence retrouvée d'Alfredo et de Germont père, elle abandonne cet univers toxique en franchissant la porte lumineuse de l'au-delà. Associées à une direction d'acteurs précise et juste, toutes ces touches parviennent malgré le cadre à faire naître l'émotion et recueillent au rideau final l'approbation du public.

Pour que cette mise en scène fonctionne, il lui faut des interprètes dramatiquement engagés et crédibles. Pour sa prise de rôle en Violetta, (Prix lyrique du Cercle Carpeaux en 2022) y parvient totalement et de manière impressionnante. Qu'elle soit en déshabillé de courtisane ou en robe à froufrous d'amoureuse romanesque, elle occupe l'espace avec présence, intensité et justesse. La voix, au timbre assez dur, est parfaitement contrôlée au diapason de nombreuses intentions interprétatives où abondent les demi-teintes. Il lui reste encore, péché de jeunesse, à mieux la gérer sur la durée et à mieux tempérer son investissement scénique. Car si elle ose le contre mi bémol à la fin de « Sempre libera » (où elle frôle d'ailleurs l'accident), si « Dite alla giovine » est déchirant d'intériorité, l'Acte III la trouve perceptiblement fatiguée pour un « Addio del passato » de moindre ampleur et à l'aigu écourté et durci.

Très convaincant tant dans sa naïveté initiale que dans la violence clastique du mâle éconduit et jaloux, campe un séduisant Alfredo. Le timbre est magnifique, la technique solide mais il touche ici ses limites en termes de lourdeur du rôle avec une projection assez faible et des aigus parfois tendus. Pour Germont père, possède la tessiture, le legato et la qualité du timbre nécessaires mais peine à donner consistance et humanité à ce difficile personnage, peu aidé en cela par la mise en scène. Parmi les nombreux seconds rôles, tous issus de l'Opéra Studio ou du Chœur de l'Opéra national du Rhin, on remarque notamment la vitalité de en Flora Bervois, la douce tendresse d' en Annina, le fort relief de en Docteur Grenvil ou encore le très actif Marquis d'Obigny de Carlos Reynoso. Enfin, le Chœur de l'Opéra national du Rhin répond sans se désunir ni perdre en qualité aux nombreuses sollicitations de la mise en scène.

À la tête de l'Orchestre national de Mulhouse, dont il est directeur musical depuis septembre 2023, évite toute pesanteur, tant dans la rythmique néanmoins bien marquée (le trio final) que dans les textures (le diaphane prélude) et se montre un très attentif et permanent soutien du plateau. Tout juste peut-on regretter une tendance à exacerber les tempos, tant dans l'alanguissement (le prélude encore) que dans la brusque accélération (le final du premier acte). En progrès constant, l'orchestre soigne lui aussi couleurs et homogénéité.

Au final, malgré quelques scories scéniques, une Traviata réussie bruyamment fêtée par un public nombreux. Neuf représentations sont encore prévues à Strasbourg, Colmar (en version de concert) puis Mulhouse avec en alternance dans le rôle-titre Julia Muzychenko, la si séduisante Princesse-Cygne du Conte du Tsar Saltane.

Crédits photographiques: (Violetta), (Alfredo) © Klara Beck

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Strasbourg. Opéra national du Rhin. 24-III-2025. Giuseppe Verdi (1813-1901) : La Traviata, opéra en trois actes sur un livret de Francesco Maria Piave, d’après le roman La Dame aux Camélias d’Alexandre Dumas fils. Mise en scène : Amélie Niermeyer. Décors et costumes : Maria-Alice Bahra. Lumières : Tobias Löffler. Chorégraphie : Dustin Klein. Avec : Martina Russomanno, Violetta Valéry ; Amitai Pati, Alfredo Germont ; Vito Priante, Giorgio Germont ; Bernadette Johns, Flora Bervoix ; Ana Escudero, Annina ; Michal Karski, Docteur Grenvil ; Massimo Frigato, Gaston de Letorières ; Pierre Gennaï : Baron Douphol ; Carlos Reynoso : Marquis d’Obigny ; Namdeuk Lee, Giuseppe ; Burak Karaoglanoglu, un Domestique de Flora Roman Modzelewski : un Commissionnaire. Chœur de l’Opéra national du Rhin (Chef de chœur : Hendrik Haas), Orchestre national de Mulhouse, direction : Christoph Koncz.

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