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Paris. Théâtre des Champs-Élysées. 22-III-2025. Jules Massenet (1842-1912) : Werther, drame lyrique en 4 actes et 5 tableaux, sur un livret d’Édouard Blau, Paul Millet, et Georges Hartmann. Mise en scène : Christof Loy. Reprise de la mise en scène : Silvia Aurea De Stefano. Scénographie : Johannes Lelacker. Costumes : Robby Duiveman. Lumières : Roland Edrich. Avec : Benjamin Bernheim, Werther ; Marina Viotti, Charlotte ; Jean-Sébastien Bou, Albert ; Sandra Hamaoui, Sophie ; Marc Scoffoni, le bailli ; Yuri Kissin, Johann ; Rodolphe Briand, Schmidt ; Johanna Monty, Kätchen ; Guilhem Begnier, Brühlmann. Solistes et Chœur d’enfants de la Maîtrise des Hauts-de-Seine. Orchestre Les Siècles, direction Marc Leroy-Catalayud.
Pour le retour de Werther à Paris, le TCE propose une mise en scène signée Christof Loy avec un Benjamin Bernheim éblouissant dans le rôle-titre.
Créée à la Scala de Milan la saison dernière, cette version de l'opéra de Jules Massenet est une nouvelle production du Théâtre des Champs-Élysées dans une mise en scène de Christof Loy, reprise par Silvia Aurea De Stefano.
Le rideau se lève sur l'unique décor : l'intérieur sobre mais élégant d'une demeure bourgeoise (rappelant celle de Goethe à Weimar), un mur haut sous plafond tapissé de rayures, une grande porte au centre qui ouvre par deux coulissants sur une véranda. Au fond derrière les vitres, on entrevoit le jardin sans jamais pouvoir y accéder : un arbre, les saisons qui défilent, le jour qui décline, la nuit, le temps qui passe…six mois durant. Un dispositif fixe tout le long du spectacle et dont ne profitent pleinement que les spectateurs situés au centre de la salle, une situation aggravée par le fait que les chanteurs interprètent leurs airs principalement côté cour. L'histoire se déroule à huis-clos au pied de ce mur qui rétrécit à dessein la profondeur de l'espace scénique. Les personnages y sont comme confinés, sans autre choix que de se rencontrer, confronter leurs caractères, pas d'échappatoire possible. Par cette disposition idoine, il s'agit avant tout, pour le metteur en scène de mettre en avant leurs traits psychologiques. Les couleurs pastel du décor et des costumes des années cinquante, la lumière douce et radieuse qui éclaire cet intérieur dans le premier acte, la présence joyeuse et tendrement espiègle des enfants donnent au premier acte une image heureuse et harmonieuse de la maisonnée, qui va progressivement se dégrader avec l'arrivée de Werther. La boîte de Pandore s'ouvrira libérant des accès de grande violence faisant voler en éclats l'ordre de ce microcosme. Tout se passe dans cet espace, jusqu'à la mort de Werther (entorse au livret qui situe la dernière scène dans le cabinet de travail du jeune homme) sous les yeux d'Albert et de Sophie, médusés, puis effondrés.
Benjamin Bernheim qui dans sa prise de rôle avait ébloui le public bordelais en 2022 s'impose désormais comme le Werther de référence d'aujourd'hui : comme nous le proclamions en 2023 de son Hoffmann, voici à présent avec lui le Werther idéal ! Plus que jamais extraordinaire vocalement, Il se surpasse et dépasse toutes les attentes dans l'interprétation de ce personnage, l'incarnant avec une intelligence hors du commun et un sens de la nuance poussé à l'extrême, chaque parole prononcée avec une sensibilité et une justesse expressive qui ne cessent d'émouvoir. Dans une maîtrise absolue du chant, il sculpte son personnage usant de la demi-teinte, de la douceur caressante de son timbre comme de la puissance de son émission vocale lorsqu'il s'agit d'exercer son insoutenable pression à l'endroit de Charlotte. Car en parfaite entente avec Christof Loy, ce n'est pas un Werther amoureux et romantique, déconnecté des contingences concrètes de la vie qu'il campe, mais un personnage torturé et égocentrique, en proie à son obsession jusqu'à, dans ses accès colériques, maltraiter son aimée au nom de son sentiment amoureux. Magnifiquement chanté, « Pourquoi me réveiller » déclenche à juste titre des applaudissements nourris qui interrompent un court temps le fil du drame.
La mezzo Marina Viotti a elle aussi bien étudié et composé son personnage. Sa Charlotte apparaît dans les deux premiers actes réservée, retranchée derrière son sens du devoir envers sa fratrie dont elle est l'ainée, puis envers son époux Albert. Vocalement comme théâtralement. Il en va tout autrement aux deux derniers actes : son timbre retrouve sa rondeur et son brillant, sa voix son ampleur, ses couleurs de ses graves admirables à la puissance et l'éclat souverain de ses aigus, sa mobilité dans les dynamiques. Le chant comme les émotions est libéré de toute entrave, et elle donne pleinement la mesure de son art, bouleversante dans l'exaltation lyrique de l'acte trois, puis l'intensité dramatique de l'acte final. Son air des larmes, touchant, est un modèle de poésie.
La Sophie de Sandra Hamaoui, jeune sœur en proie à la jalousie, car amoureuse de Werther, n'est pas la jeune fille innocente et légère que l'on rencontre habituellement. Pourvue d'un caractère trempé, sa voix est à son image, très vibrée, à la couleur corsée et moins juvénile qu'à l'accoutumée. Jean-Sébastien Bou répond à toutes les attentes : le baryton est tout aussi bon acteur que chanteur dans le rôle d'Albert dont la complexité du personnage ne lui échappe pas. Marc Scoffoni, de sa voix grave impeccablement posée, incarne un bailli attachant et affectueux, dans son monde avec les enfants. L'impertinent duo comique Johann (Yuri Kissin) et Schmidt (Rodolphe Briand) opposés vocalement, un peu à la Laurel et Hardy, est très convaincant, bien que n'allégeant pas l'atmosphère pour autant.
L'orchestre Les Siècles est reconnaissable aux couleurs de ses instruments d'époque. La direction de Marc Leroy-Calatayud, collant parfaitement à la mise en scène, est attentive à la partition comme aux chanteurs, vivante, expressive, intensément lyrique, et prend le parti de creuser les contrastes, ce dès le prélude, entre moments de légèreté, de tendre poésie, et épisodes de violence lorsque la tragédie éclate dans les déflagrations des cuivres. Enfin, un grand coup de chapeau aux solistes et au chœur d'enfants de la Maîtrise des Hauts de Seine, pour leur chant impeccable de justesse et de précision, pour le beau timbre clair et pur qu'ils projettent ensemble, l'enthousiasme joyeux et communicatif dont ils font preuve et la lumière qu'ils répandent sur l'ouvrage.
Aux saluts la mise en scène est contestée par une partie de la salle ce soir de première, mais les huées sont rapidement neutralisées par un déchaînement d'applaudissements.
Crédit photographique © Vincent Pontet
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Paris. Théâtre des Champs-Élysées. 22-III-2025. Jules Massenet (1842-1912) : Werther, drame lyrique en 4 actes et 5 tableaux, sur un livret d’Édouard Blau, Paul Millet, et Georges Hartmann. Mise en scène : Christof Loy. Reprise de la mise en scène : Silvia Aurea De Stefano. Scénographie : Johannes Lelacker. Costumes : Robby Duiveman. Lumières : Roland Edrich. Avec : Benjamin Bernheim, Werther ; Marina Viotti, Charlotte ; Jean-Sébastien Bou, Albert ; Sandra Hamaoui, Sophie ; Marc Scoffoni, le bailli ; Yuri Kissin, Johann ; Rodolphe Briand, Schmidt ; Johanna Monty, Kätchen ; Guilhem Begnier, Brühlmann. Solistes et Chœur d’enfants de la Maîtrise des Hauts-de-Seine. Orchestre Les Siècles, direction Marc Leroy-Catalayud.