Yannick Nézet-Séguin plus convaincant dans Bruckner que dans Richard Strauss avec Angel Blue
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Paris. Théâtre des Champs Elysées. 23-III-2025. Richard Strauss (1864-1949) : Quatre derniers lieder. Anton Bruckner (1824-1896) : Symphonie n°3 en ré mineur (version de 1873). Angel Blue (soprano). Orchestre philharmonique de Rotterdam, direction musicale : Yannick Nézet-Séguin
Somptueux programme romantique au Théâtre des Champs-Elysées avec l'Orchestre philharmonique de Rotterdam et Yannick Nézet-Séguin.
Sur la scène rénovée du Théâtre des Champs-Elysées, l'Orchestre philharmonique de Rotterdam à l'effectif renforcé accueille son chef honoraire, Yannick Nézet-Séguin. La première partie du concert est dédiée aux merveilleux quatre derniers lieder de Richard Strauss, bouleversant adieu au romantisme allemand composés alors que l'Allemagne n'est plus qu'un champ de ruines. Le résultat ne convainc que moyennement en raison de l'interprétation trop extérieure de la soprano Angel Blue. Le choix de la chanteuse américaine surprend, tant la cantatrice tire ces pages vers l'opéra, avec des éclats et un vibrato qui nous éloignent de l'intimité du lied. Sous la baguette très démonstrative du chef canadien, l'orchestre de Rotterdam offre un soutien généreux avec quelques beaux solos (le cor à la fin de « September ») mais aussi une légère déception dans le sublime solo de violon de « Beim Schlafengehen », à la sonorité un peu éteinte. Quant à l'ultime « Im Abendrot » qui provoque une émotion ostensible de la soprano qui se tamponne les yeux avec son mouchoir, il conclut par un postlude recueilli et solennel une interprétation qui laisse cependant partagé.
La seconde partie du concert ne comprend qu'une œuvre, mais quelle œuvre ! L'immense Symphonie n° 3 de Bruckner. Yannick Nézet-Séguin défend la version originale de 1873, la plus développée et la plus originale, celle que Bruckner avait montré à Wagner pour lui offrir la dédicace et qu'il a déjà enregistrée deux fois (à Montréal, Atma et surtout à Dresde, Profil, sans doute son plus beau disque brucknérien). C'est la plus longue des trois versions, et le premier mouvement est, en nombre de mesures, le plus long de tous les mouvements initiaux de Bruckner. Il faut dire que l'extension des crescendos reposant sur le piétinement d'ostinatos répétés sans relâche, le rôle des grandes pauses, l'introduction au milieu du mouvement d'une citation du motif du sommeil de Brünhilde, requièrent un souffle exceptionnel du chef et de ses instrumentistes. On salue la prouesse des cordes (disposées en violons 1, violoncelles, altos et violons 2 de gauche à droite), comme la profondeur des cuivres, trompette solo sur qui repose l'exposé du thème initial de la symphonie comme trombone basse (c'est la dernière symphonie de Bruckner qui ne requiert pas le tuba). L'adagio est soutenu et phrasé avec noblesse et intensité même si l'indication donnée par Bruckner dans cette première mouture (adagio, Feierlich -solennel-) autorise encore plus de lenteur que sous la baguette de Nézet-Séguin, ce mouvement ne devenant « quasi andante » que dans les rédactions ultérieures. Mais l'évocation de l'ouverture de Tannhauser qui passe souvent inaperçue ressort avec grandeur. Le chef fouette le scherzo à la cravache y compris dans le savoureux trio aux accents rustiques où triomphait naguère un Knappertsbuch. Reste le problématique final, que Nézet-Séguin prend avec énergie alors que sa construction difficile ressort en fait mieux lorsque les chefs retiennent le tempo pour en faire le pendant du premier mouvement. Minces réserves en regard d'une aussi puissante interprétation qui suscite un véritable et justifié triomphe et rappelle que le chef canadien a appris son Bruckner auprès de l'immense Carlo Maria Giulini.
Crédits photographiques : DR/Théâtre des Champs-Elysées
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Paris. Théâtre des Champs Elysées. 23-III-2025. Richard Strauss (1864-1949) : Quatre derniers lieder. Anton Bruckner (1824-1896) : Symphonie n°3 en ré mineur (version de 1873). Angel Blue (soprano). Orchestre philharmonique de Rotterdam, direction musicale : Yannick Nézet-Séguin
Entièrement d’accord avec votre critique.
La troisième de Bruckner était effectivement un très grand moment, d’autant qu’on n’a pas souvent l’occasion d’entendre la version de 1873.
Les Lieder de Strauss, en revanche, n’étaient pas du même niveau, avec un allemand incompréhensible, malgré les efforts de la cantatrice, fort sympathique par ailleurs.